On utilise les [ ] pour la notation
phonétique et les / / pour la notation phonologique. On écrira par
exemple en français [ta] et /ta/ respectivement pour la description phonétique
et phonologique du mot "tas". De même, on écrira [ka] et
/ka/ pour le morphème "cas". Il s'agit ici d'un exemple de ce
qu'on appelle une opposition ou une paire minimale. Ces deux morphèmes
sont reconnus comme différents en français, mais pourraient être
perçus comme identiques dans une autre langue, notamment en tahitien.
« Dès l’instant
où un être vivant a une mémoire et un projet, il peut donner
sens à ce qu’il perçoit. Le sens n’est donc pas dans
les choses. Il est dans l’être vivant qui se sert des choses pour
les imprégner d’un sens. »
« Lorsqu’on
met en lumière un morceau de monde, on éteint tout ce que l’on
n’a pas mis en lumière. C’est ainsi que l’on crée
ce qu’on dit : parler c’est créer un morceau de monde, c’est
le pétrir, le fabriquer et le faire vivre.»
-
Boris Cyrulnik
Le contenu d’un message parlé
dépend autant de la signification factuelle du mot, de la
prosodie (ou intonation), que des codes non-linguistiques comme les mouvements
du corps, ceux des mains, etc. On n’a qu’à penser aux mimes
qui parviennent à communiquer uniquement avec ces codes non-linguistiques.
Voilà pourquoi une phrase entendue au téléphone
sera moins riche de sens que la même phrase dite par quelqu’un qui
est devant nous. Et voilà aussi pourquoi la même phrase écrite
aura encore moins de sens possible que celle entendue au téléphone.
D’où les nombreux «smiley» des communications électroniques
qui tentent de réintroduire la dimension prosodique de la communication.
Certains sons semblables mais distincts
peuvent être identifiés par le cerveau comme un même phonème.
Par exemple, un énoncé comme " il tire la langue " prononcé
avec un [r] roulé ou un [r] non roulé (les crochets désignent
un son particulier) ne présente aucune différence phonologique en
français. Deux sons différents, le [r] roulé et le [r] non
roulé, représentent donc ici le même phonème /r/ (on
dit que ce sont des variantes libres).
LES LIENS ENTRE PENSÉE ET LANGAGE
La capacité
du cerveau à reconnaître des mots particuliers dans le flot verbal
de quelqu’un est remarquable. Il suffit d’écouter une langue
qui nous est complètement étrangère pour se rendre compte
de la difficulté d’en isoler les éléments constitutifs.
Une personne qui parle dans sa langue n’isole donc pas les mots (appelés
morphèmes
par la plupart des linguistes) entre des silences, comme les espaces qui séparent
les
mots écrits. Et pourtant, notre cerveau les reconnaît individuellement.
Pour reconnaître les mots par leur son, le cerveau les décortique
en phonèmes. On distingue ici deux approches, historiquement
liées, mais qui n'ont pas le même intérêt pour la compréhension
du cerveau.
D'abord la phonétique,
qui décrit et classe les sons de tous les langages en se basant sur la
manière dont ils sont produits physiquement grâce à nos organes
phonateurs. Les descriptions phonétiques sont représentées
entre crochets: [ ] (voir le premier encadré à gauche pour un exemple).
La phonétique permet par exemple de comparer l'utilisation des différents
sons dans différentes langues, et aussi dans de nombreux cas de décrire
l'évolution sonore des langues.
Pour sa part,
la phonologie, historiquement issue de la phonétique, ne s'attache
pas à décrire les sons avec autant de précision que cette
dernière. Par contre, elle révèle la structure interne propre
à une langue particulière. Ce n'est pas le son en soi qui importe
ici, mais l'opposition avec d'autres sons du même " tableau "
typique de telle ou telle langue. Les descriptions phonologiques sont représentées
entre des barres obliques: / / (voir le premier encadré à gauche
pour un exemple). C'est donc l'analyse phonologique qui permet d'étudier
les bases cérébrales du codage/décodage linguistique avec
des mots, des phrases et des significations dans une langue donnée.
Car
la fonction ultime du langage est de transmettre de la signification. Une fois
que l’on a reconnu un mot par ses phonèmes, son sens va dépendre
de plusieurs facteurs : ce qu’il désigne dans le monde, le
contexte de son élocution et, surtout, de la façon dont le mot
s’articule avec ses voisins dans une phrase, ce qu’on appelle la syntaxe.
L’ordre des mots dans une phrase revêt une importance capitale.
Les phrases « L’homme mange l’alligator » et « L’alligator
mange l’homme » ont des sens bien différent. Elles contiennent
pourtant les mêmes mots. Seul l’ordre, et donc la relation qu’ils
entretiennent par rapport au verbe, a changé.
Dans
chaque langue, certains mots ne désignent rien en eux-mêmes, mais
ont une fonction syntaxique dans la chaîne de mot que constitue une phrase.
Ces mots « relationnels » comme et, le, un,
avec montrent bien leur utilité lorsqu’ils viennent à
manquer. C’est le cas des titres de journaux ou des petites annonces où
l’espace est restreint : «Chien à donner. Mange de tout adore
les enfants.», «Vends armoire pour dames aux pattes courbées»,
etc.
Le linguiste Noam
Chomsky a montré l'importance de la syntaxe dans les langues naturelles.
Sa fameuse phrase « Colorless green ideas sleep furiously » (en français,
« Les idées vertes incolores dorment furieusement. ») n’a
évidemment pas de sens, mais sa syntaxe correcte nous porte à en
chercher un. Ce genre d'observation a amené Chomsky à formuler sa
théorie de la "grammaire universelle" (voir capsule outil à
gauche) où la syntaxe est indépendante de la signification, du contexte,
des connaissances
mémorisées par le sujet ou de ce qu'il veut communiquer. Une
approche que contestent toutefois des linguistes comme George
Lakoff qui placent plutôt la métaphore conceptuelle issue de
nos expériences corporelles au cur du langage.
Quoi
qu'il en soit, les mots que nous connaissons forment un lexique mental où
chaque mot peut évoquer plusieurs significations selon le contexte de son
énonciation. Quand nous parlons, chaque mot est ainsi relié à
plusieurs autres mots avec qui il partage des liens de sens. C’est ce qui
permet au cerveau de construire des catégories.
La
catégorisation est l’un des aspects les plus importants
du langage. Sans cette capacité que nous avons de regrouper des objets
similaires dans des catégories, le langage serait une suite infinie de
noms désignant des objets particuliers. Aussi bien dire qu’il serait
inutilisable.
La catégorisation permet surtout de créer
des concepts, c’est-à-dire des représentations mentales générales
et abstraites. Et grâce aux concepts, le langage devient un outil qui permet
d’étendre nos capacités cognitives pour ensuite s’en
servir pour mieux comprendre le monde.
Plusieurs
expériences montrent que le langage permet cette transformation de l’information
en représentations abstraites. Si par exemple on fait entendre à
des sujets plusieurs phrases formant le paragraphe d’un texte, la plupart
vont être capable de formuler l’idée générale
dans leurs mots, mais pas selon les phrases exactes qu’ils ont entendues.
C’est comme si deux transformations avaient lieu : une première nous
permet de nous représenter de manière plus abstraite et synthétique
ce que nous entendons, ce qui semble plus facile à mémoriser. Et
une deuxième transformation où la personne se rappelle la représentation
et la reconvertit en paroles en utilisant ses propres mots.
La
question de savoir si la signification d’un mot et les caractéristiques
de l’objet correspondant dans le monde sont emmagasinées au même
endroit dans le cerveau est encore débattue. Certains pensent qu’il
y a un site de stockage unique pour chaque concept, idée ou objet particulier.
Toutes les caractéristiques d’un lion seraient par exemple emmagasinées
ensemble dans une région du cerveau. La forme sonore et la forme écrite
du mot lion seraient stockées dans d’autres régions qui seraient
connectées à celle des caractéristiques de l’animal.
Pour d’autres, l’information est traitée dans le cerveau
de
façon beaucoup plus distribuée: l’odeur, le cri et l’image
visuelle du lion seraient alors plutôt localisés en de multiples
zones du cerveau étroitement interconnectées. Le fait d’entendre
ou de lire le mot lion activerait alors simultanément l’ensemble
de ces zones.
Outre son rôle fondamental dans la communication,
le langage nous procure aussi un puissant mécanisme interne pour se remémorer,
critiquer et modifier nos pensées. Ce mode de communication interne rend
possible des manipulations mentales plus complexes, tant sur le plan logique que
sur le plan affectif. Et la prédiction des conséquences de ces manipulations
conceptuelles procure un avantage adaptatif certain à une espèce
sociale comme la nôtre.
Les travaux d’imagerie cérébrale
ont démontré que, dans le cerveau, le langage est organisé
par catégories sémantiques et non par mots.
Par
exemple si l’on demande à des sujets de nommer des personnes, des
animaux ou des outils, on observe une augmentation d’activité dans
des
régions distinctes du cortex temporal.
Cette
organisation permet aussi de comprendre pourquoi des lésions relativement
restreintes dans le lobe temporal gauche entraînent parfois la perte des
mots qui désignent une catégorie d’objets particulière
et pas les autres.
À un an, le lobe temporal
qui inclut l’aire
de Wernicke est encore très immature et représente à
peine plus de 50% de la surface du lobe temporal adulte. De plus, sa partie centrale
qui, chez l’adulte, est associée au stockage lexical, a à
peine 20% de sa taille adulte. Même chose pour le
lobule pariétal inférieur, relié à l’aire
de Wernicke, qui permet d’assigner des mots à des événements
visuels, sonores ou somatosensoriels : ses neurones sont relativement peu myélinisés
durant la première année et sa surface est moins de 40% de celle
de l’adulte.
À environ 20 mois, âge auquel l’enfant
peut dire presque 100 mots et en comprendre le double, la surface du lobe temporal
est passée à environ 65% de celle de l’adulte. À 30
mois, alors qu’il maîtrise environ 500 mots, son lobe temporal est
à 85 % de celui de l’adulte. La maturation de l’aire de Wernicke
semble donc être un facteur favorisant les capacités lexicales de
l’enfant.
La mémoire procédurale
pour le langage repose sur l’intégrité du cervelet,
du striatum et d’autres ganglions
de la base ainsi que sur une région circonscrite du cortex périsylvian
gauche. Les compétences linguistiques implicites feraient également
appel au système
limbique qui règle nos émotions et nos motivations.
La mémoire déclarative repose pour sa part sur l’intégrité
de l’hippocampe, du lobe temporal médian, et de grandes régions
du cortex associatif des deux hémisphères.
Le phénomène neuronal
du seuil d’activation, qui n’est associé à
aucun système cérébral particulier mais touche toutes les
fonctions supérieures, influence les compétences linguistiques.
Le substrat neuronal de quelque représentation que ce soit requiert en
effet une certaine fréquence d’influx nerveux pour atteindre son
seuil d’activation, c’est-à-dire générer lui
aussi despotentiels d’action. Chaque fois qu’un mot ou une construction
syntaxique est utilisée, son seuil d’activation s’en trouve
abaissé et son utilisation subséquente facilitée. Inversement,
lorsqu’un circuit neuronal est inactif, son seuil d’activation s’élève
graduellement. Les mêmes effets s’observent d’ailleurs au niveau
moléculaire sur deux phénomènes qui jouent sur le seuil d’activation,
la PLT
et la DLT.
APPRENDRE UNE LANGUE
Le langage humain est
tellement sophistiqué qu’on doit admettre qu’une machinerie
cérébrale en partie pré-programmée le rend possible,
comme l’ont montré notamment les travaux du linguiste Noam Chomsky
(voir capsule outil à gauche). Les bébés naissent ainsi avec
un dispositif d’acquisition du langage qui leur permet en quelques années
de maîtriser
des milliers de mots et des règles de grammaire complexes. Ce qui n’est
pas le cas de nos cousins primates les plus proches qui n’ont jamais réussi
à apprendre plus que quelques centaines de symboles et quelques phrases
simples (voir capsule expérience à gauche).
Ceci dit,
l’enfant
de moins d’un an ne peut émettre autre chose que du babillage.
Cette limite serait attribuable à l’immaturité du lobe
temporal qui inclut l’aire de Wernicke. Celle-ci, en associant les mots
à leur sens, intervient directement dans la mémorisation des signes
utilisés dans le langage. L’acquisition du vocabulaire durant les
premières années semble suivre de près la maturation de cette
région cérébrale qui, chez l’adulte, nous permet d’avoir
un lexique de 50 000 à 100 000 mots.
Notre capacité à
retenir un nombre aussi impressionnant de mots fait appel à deux types
de mémoire selon qu’il s’agisse de notre langue maternelle
ou d’une langue seconde apprise plus tard (voir capsule outil à gauche).
Au contraire, l’apprentissage
d’une langue seconde s’effectue par un effort conscient de mise en
mémoire du vocabulaire et des règles de cette langue. Lorsqu’elle
est apprise ainsi, une langue seconde dépendra de la
mémoire déclarative. Il arrive toutefois qu’une langue
seconde soit apprise «dans la rue», comme la première, sans
qu’on lui porte une attention particulière. Auquel cas, elle sera
elle aussi prise en charge par la mémoire procédurale.
En
fait, plus la méthode d’enseignement d’une langue seconde sera
basée sur la communication et la pratique, plus cette seconde langue utilisera
la mémoire procédurale. À l’inverse, plus la méthode
va être formelle et systématique, plus la pratique de cette seconde
langue dépendra de la mémoire déclarative (ou explicite).
L’acquisition
et l’utilisation d’une langue peuvent donc faire appel à des
compétences linguistiques implicites comme à des connaissances métalinguistiques
explicites. Comme différentes structures cérébrales sous-tendent
chacun de ces systèmes (voir encadré), des troubles du langage peuvent
affecter sélectivement la langue maternelle et les langues secondes. À
la suite d’une lésion cérébrale, les personnes bilingues
peuvent ainsi perdre de façon sélective l’usage d’une
de leurs deux langues. Mais la langue préservée n’est pas
nécessairement la langue maternelle, ni celle qu’ils parlaient le
plus couramment avant l’accident.
Une lésion cérébrale
peut également rendre une personne amnésique sans affecter sa capacité
de parler sa langue maternelle (mémoire procédurale). Ou à
l’inverse, une autre lésion pourra causer de sérieux problèmes
d’utilisation automatique de la parole, mais ne pas affecter sa capacité
à se remémorer ce que la personne a appris consciemment (mémoire
déclarative). D’autres observations vont aussi dans le sens de cette
distinction. Par exemple, certains patients aphasiques semblent récupérer
leur langue seconde avec plus de succès que leur langue maternelle, alors
que des patients amnésique perdent complètement accès à
leur langue seconde. Les patients souffrant de la "maladie
d’Alzheimer" conservent pour leur part les fonctions linguistiques
basées sur la mémoire procédurale mais perdent celles liées
à la mémoire déclarative comme le vocabulaire.
Mais
même dans la langue maternelle, ce ne sont pas tous les aspects qui font
appel à la mémoire procédurale. On croit par exemple que
le lexique de notre langue maternelle, qui consiste en une association d’un
ou de plusieurs phonèmes à une signification, pourrait entretenir
des liens étroits avec la mémoire déclarative. Le vocabulaire
semble donc constituer un aspect particulier du langage : les grands singes sont
capables d’apprendre un grand nombre de symboles se rapportant à
des mots (voir capsule expérience à gauche); les
enfants sauvages privés de langage au début de leur vie peuvent
aussi apprendre de nombreux mots, mais comparativement peu de syntaxe; et les
individus atteints d’amnésie
antérograde, bien qu’ils soient capables d’acquérir
de nouvelles capacités motrices ou cognitives, sont pour leur part incapables
d’apprendre de nouveaux mots.
Si le lexique de notre langue maternelle
dépend d’une mémoire déclarative faisant intervenir
les lobes pariétaux et temporaux, la grammaire de cette même langue
fait bel et bien appel à une mémoire procédurale impliquant
les lobes frontaux et les
ganglions de la base. Cette mémoire procédurale est impliquée
dans des apprentissages moteurs ou cognitifs inconscients qui impliquent une séquence
d’événement dans le temps. Ceci correspond bien aux opérations
grammaticales qui consistent à ordonner en temps réel les éléments
lexicaux d’une langue.
L’aire
de Broca, ainsi que les
aires motrices supplémentaires et prémotrices de l’hémisphère
gauche, qui participent toutes à la préparation du langage, sont
activées lorsqu’on se répète mentalement quelque chose
sans le prononcer. Ceci permettrait d’augmenter le temps de maintien en
mémoire de l’information verbale en rafraîchissant le "buffer
phonologique". Ces régions frontales gauches sont ainsi impliquées
dans le maintien actif de l'information dans la
mémoire de travail.
Certaines études faites sur
des enfants ayant des problèmes de lecture ont montré que ceux-ci
avaient en fait des problèmes de compréhension de la syntaxe causés
par une déficience de leur mémoire de travail.
C’est
aussi la mémoire de travail qui nous permet de comprendre des phrases particulièrement
longue ou complexe comme par exemple: “Le clown qui porte le petit garçon
embrasse la petite fille”. Ce que la mémoire de travail permet, c’est
de garder l’information verbale à l’esprit suffisamment longtemps
pour que la séquence de mots d’une phrase prenne sens.
L'interprétation simultanée
est la tâche verbale peut-être la plus complexe que l’on peut
imaginer. En traduisant un discours simultanément, un interprète
doit comprendre ce qui est exprimé dans une langue, le garder dans sa mémoire
de travail jusqu’à ce qu’il l’ait encodé
dans l’autre langue, puis prononcer ce bout de discours dans l’autre
langue, tout en continuant de se concentrer sur ce que dit le locuteur dans le
première langue et recommencer le processus.
Parmi les dyslexiques célèbres,
on peut citer Einstein, Rodin, Edison, Pasteur, Andersen et Léonard de
Vinci. Léonard de Vinci a d’ailleurs écrit toute sa vie «
en miroir ». Quand on voit leur génie, on aurait presque envie d'être
dyslexique…
L’un des types d’aphasie
les plus rares et les plus curieux est le syndrome de l'accent étranger
(« foreign accent syndrome », en anglais). Du jour au lendemain, les
personnes qui en sont atteintes (moins de 20 cas rapportés au cours des
80 dernières années) se mettent à parler avec ce qui ressemble
à un fort accent étranger. Une femme qui était née
et avait vécu toute sa vie à Boston sans jamais avoir voyagé
outre-mer ou avoir appris une langue étrangère s’est ainsi
retrouvée un bon matin à parler anglais comme si elle avait été
d’origine française !
Une analyse acoustique du discours
de cette femme a par la suite montré qu’elle ne parlait pas réellement
avec un accent français. Elle s’exprimait plutôt avec un trouble
de production de la parole qui s’apparentait au niveau du spectre acoustique
à l’imitation de l’accent étranger que peuvent faire
les comédiens.
De toutes petites lésions dans diverses
régions du cerveau pourraient expliquer ces changements subtils de la prononciation
(allongement de syllabes, tonalité différente, etc) qui donnent
l’impression d’un accent étranger.
Le syndrome de
l’accent étranger ne signifie pas qu’il pourrait y avoir dans
le cerveau une « zone de l’accent », mais nous donne néanmoins
des indications sur la façon dont le langage est produit.
Il est difficile de prédire
les effets d’une lésion cérébrale sur les facultés
langagières des personnes bilingues. L’ordre dans
lequel les langues ont été apprises, la facilité d’expression
dans chacune des deux langues ainsi que la langue utilisée la plus récemment
sont tous des facteurs qui peuvent influencer la récupération d’une
ou des deux langues.
On sait par exemple que si le sujet a appris les
deux langues en même temps, la lésion affecte habituellement les
deux langues de la même façon. Pour des langues apprises à
des moments différents, l’une d’elle sera vraisemblablement
plus affectée que l’autre.
La dyslexie
consiste en une difficulté plus ou moins grande à apprendre à
lire et à écrire. C’est un trouble du développement
que l’on découvre quand l’enfant apprend à lire, vers
6 – 7 ans et qui est plus fréquent chez les garçons et chez
les
gauchers. Des problèmes de lecture peuvent aussi être acquis
suite à une lésion cérébrale à l’âge
adulte, auquel cas ils reçoivent plutôt le nom d’alexie.
La personne dyslexique confond différents sons (p et b, f et v) ou
des lettres proches visuellement (m et n). Des lettres peuvent aussi leur apparaître
renversée (un d vu comme un b) ou même des mots (sac vu comme cas).
Dans la dyslexie dite profonde, les patients lisent carrément un mot pour
un autre, les deux mots étant liés par le sens (par exemple «vache»
à la place du mot «cheval»).
La dyslexie touche 5
% à 10 % des gens dont les autres capacités cognitives sont par
ailleurs tout à fait normales. Le degré des atteintes varie beaucoup
chez les personnes dyslexiques, allant de légères difficultés
de lecture à l'analphabétisme complet.
Le dyslexique peut
avoir une expression orale tout à fait normale mais la difficulté
commence dès qu'il se trouve en présence des lettres. Mais les caractéristiques
de la dyslexie sont sans doute plus étendues qu'un simple trouble de la
lecture. Certains la considèrent même davantage comme un problème
de traitement sensoriel, d'autres comme un trouble de la mémoire. Tout
l’objet des recherches sur la dyslexie est de reconstituer l’enchaînement
causal entre certains gènes, certaines zones du cerveau, certaines fonctions
cognitives, et l’habileté à lire et à écrire.
On commence ainsi à identifier des signes pathologiques variés
dans le cerveau des dyslexiques. Des anomalies évidentes dans la disposition
des cellules corticales, plus spécialement dans certaines régions
des aires corticales frontales et temporales gauche, ont été par
exemple rapportées. Ceux qui ont mis en évidence ces configurations
cellulaires inhabituelles dans des régions cérébrales liées
au langage considèrent qu’elles se développeraient probablement
dès le milieu de la période de gestation, période pendant
laquelle on observe une
migration cellulaire active dans le cortex cérébral.
Contrairement à la plupart des gens, où le
planum temporale gauche est considérablement plus grand que le droit,
celui des dyslexique montrerait, selon certains auteurs, une taille comparable.
La présence ou l'absence d'une asymétrie du planum temporale dans
le cerveau des individus dyslexiques reste toutefois controversée. Lorsque
les différences de taille globale du cerveau, d'âge et de sexe sont
prises en compte, les différences anatomiques entre le planum temporale
des dyslexiques et des témoins s’estompent énormément.
D’autres études suggèrent que des changements dans les
voies sensorielles des patients pourraient être responsables de leurs difficultés
à lire. Des examens post mortem ont montré que les neurones des
dyslexiques étaient plus petits que ceux des témoins dans les
aires magnocellulaires du corps genouillé latéral où
les neurones étaient à la fois plus petits et agencés de
façon désorganisée. Il se pourrait que ces anomalies nuisent
au traitement rapide qu’exigent des signaux changeants comme ceux impliqués
dans la lecture.
D’autres études chez des dyslexiques, en
imagerie cérébrale celles-là, ont pour leur part montré
une activation moindre dans l’aire
visuelle V5/MT responsable de la détection du mouvement ou dans la
partie inférieure du lobe temporal gauche.
Dépendamment
de l’ampleur des lésions cérébrales, les aphasies vont
de subtiles altérations du discours à la suppression complète
de la parole.
Ceux
qui souffrent d’aphasie globale ne parviennent à prononcer que très
peu de mots qui ne sont liés par aucune syntaxe. Ces personnes ont tout
au plus une certaine forme de langage automatique, spécialement des exclamations
émotionnelles. Les expressions faciales, les gestes des mains et l’intonation
vocale peuvent également être préservés. Chez ces patients,
le pronostic d'une récupération du langage est néanmoins
extrêmement faible.
Dans l’aphasie de conduction,
la compréhension et l’expression verbale spontanée sont normales.
Ces patients ont toutefois beaucoup de difficulté quand on leur demande
de répéter des mots ou des phrases .Quand ils s’y essaient,
ils mêlent les sons dans les mots et font de nombreuses transformations
et omissions de mots.
La description des lésions cérébrales
à l'origine de cette forme d'aphasie est encore controversée. Pour
Wernicke, et après lui Geschwind, il s’agit de la destruction du
faisceau
arqué dans la région pariétale suprasylvienne, faisceau
qui relie l'aire de Wernicke à l'aire de Broca. D’autres ont cependant
proposé que des dysfonctions corticales, notamment dans le cortex auditif,
l'insula et la circonvolution supramarginale, pourraient créer les symptômes
de l’aphasie de conduction.
Dans l’aphasie anomique,
la principale difficulté consiste à retrouver certains mots, alors
que la structure syntaxique durant l’expression verbale est correcte. Ces
aphasiques compensent la difficulté à trouver le mot juste par d’autres
mots plus vagues (« chose » ou « truc »). Ou encore par
des périphrases comme « l’instrument qu’on porte au poignet
et qui dit l’heure ». Si on lui une photo de John F. Kennedy, il dira
que c’était le président des États-Unis, qu’il
a été assassiné, mais ne trouvera son nom que si vous l’aidez
en disant « John F… ». La communication avec un patient anomique
demeure toutefois possible si l’interlocuteur connaît le contexte
ou le sujet de conversation.
L’aphasie anomique est souvent causée
par une lésion du lobe pariétal circonscrite dans la région
du gyrus
angulaire ou juste au-dessus de lui. On lui a aussi associé des lésions
à la région du pulvinar dans le thalamus. Comme notre système
du traitement du langage forme un réseau densément interconnecté,
des dommages un peu partout dans l’hémisphère gauche peuvent
être à l’origine d’une aphasie anomique. Cependant dépendamment
de la localisation de la lésion, une personne peut être incapable
par exemple de nommer un item qu’on lui montre (dû à une déconnexion
entre le cortex visuel et le cortex pariétal inférieur) mais sera
capable de le nommer s’il le touche ou si on le lui décrit à
voix haute parce que ses voies corticales auditive et tactiles le liant au cortex
pariétal auront été préservées.
De
nombreuses autres formes d’aphasie moins fréquentes ont été
décrites. Mentionnons seulement : l’alexie, où
le patient est incapable de lire tout en demeurant capable d’écrire,
résultat de lésions dans la partie inférieure du lobe occipital
et du lobe temporal gauche; l’agraphie, où le patient
raisonne normalement, mais il est incapable d'écrire; L’anarthrie
où le patient est incapable d'articuler les mots qui pourraient traduire
sa pensée suite à un dysfonctionnement du système impliqué
dans le contrôle de la réalisation motrice du langage; l’aphasie
progressive, qui s’installe insidieusement et amène un manque
de mot qui s’accentue peu à peu; l’aphasie sous-corticale,
produite par de petites lésions dans les régions sous-corticales
de l’hémisphère gauche et qui présente une variété
de symptômes rencontrés dans les autres aphasies; l’aphasie
motrice transcorticale, caractérisée par des anomalies
de l’expression spontanée mais où le patient se distingue
de l’aphasique de Broca par sa capacité à répéter
de longues phrases, alors que l’aphasique de Broca ne peut répéter
que de simples mots; etc.
Enfin, le fait que chacun de ces différents
types d’aphasie comporte souvent plusieurs sous-types montre bien toute
la complexité des pathologies du langage.
Chez les personnes sourdes qui utilisent
le langage des signes, les lésions de l’hémisphère
gauche entraînent des déficits du langage comparables à ceux
observés chez l’aphasique verbal. Il existe par exemple des cas très
proches de l’aphasie de Broca où il devient très difficile
pour la personne de parler avec ses mains, mais où ni sa compréhension,
ni ses gestes autres que ceux impliqués dans le langage des signes ne sont
altérés.
De même, il existe une manifestation de
l’aphasie de Wernicke chez les sourds. La personne utilise alors les signes
avec facilité, mais se trompe souvent en les faisant tout en ayant de la
difficulté à comprendre les gestes d’autrui.
On
connaît également le cas très rare d’un homme qui savait
parler mais connaissait aussi le langage des signes puisque ses parents étaient
sourds. Suite à un accident cérébro-vasculaire à l’hémisphère
gauche, il présentait une aphasie globale de laquelle il récupéra
progressivement. Fait intéressant, l’homme récupéra
sa faculté d’expression dans les deux langues en même temps.
D’autres études ont montré le caractère imbriqué
des deux régions de l’hémisphère gauche impliquées
dans ces deux types de langage, mais également des délimitations
un peu différentes.