Capsule outil: La langue des signes

Pour la très grande majorité d'entre nous, aborder la question du langage renvoie inévitablement à des mots portés par une voix. Qu'il s'agisse de notre langue maternelle, d'une langue seconde ou même d'une langue que l'on ne connaît pas, on en a d'abord et avant tout une expérience sensorielle orale et auditive. Puis, un peu plus tard dans la vie, on apprend à transposer ces sons par écrit. Apprendre une nouvelle langue signifie donc apprendre à prononcer des sons nouveaux, se préoccuper d'un accent et tenter de décoder des enchaînements de sons qui nous apparaissent au départ totalement indifférenciés.

Depuis des millénaires, on réfléchit ainsi au langage parlé et écrit. On l'analyse, on l'esthétise, on en parfait l'usage à des fins de persuasion ou de séduction. Les littéraires, créateurs ou critiques, ne s'en lassent pas. Les linguistes le décortiquent et les neurobiologistes cherchent les régions cérébrales qui s'activent quand on entend, comprend ou prononce une phrase. En fait, c'est depuis les sophistes de l'Antiquité grecque qu'on se questionne sur cette faculté humaine à s'exprimer par la parole. Aujourd'hui encore, nos mentalités sont imprégnées d'une conception qui a marqué la philosophie et qui veut que le corps soit séparé du langage, suivant cette idée platonicienne que le langage, porté par la parole, soit noble et pur esprit, alors que le corps, siège de toutes les bassesses, serait vil et à l'origine de toutes les pulsions plus ou moins réprimées par la culture occidentale.

Qu'auraient fait tous ces philosophes de l'observation d'une langue entièrement articulée dans le corps ? C'est pourtant une telle langue qu'utilisent quotidiennement les locuteurs de langues signées à travers le monde! Un usage qui, c'est le moins qu'on puisse dire, fissure cette solide tradition de pensée qui veut que le langage soit dissocié du corps.

Cœur des identités culturelles des communautés sourdes à travers le monde, les langues signées ne sont pas universelles. Chaque communauté possède la sienne et chacune de ces langues, comme toute langue, a son histoire et son développement inextricablement liés à la réalité socioculturelle des gens qui la signent. Elles ne sont pas non plus intercompréhensibles : un locuteur de la langue des signes québécoise ne comprendra pas une locutrice de la langue des signes japonaise. La langue des signes québécoise est toutefois plus proche de la langue des signes japonaise qu'elle ne l'est de la langue française par exemple. Les langues signées sont donc des langues à part entière qui permettent, comme toutes les langues orales, de discourir de philosophie et de créer de la littérature.

Les langues signées sont des langues visuo-spatiales, c'est-à-dire qu'elles sont destinées à être vues et que leur grammaire se structure dans l'espace. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une équivalence parfaite, on peut dire que le signe dans les langues signées est le pendant du mot dans les langues orales. Ce signe, constitué d'un mouvement complexe des mains, peut être décrit grâce à plusieurs paramètres : configuration de la main, lieu d'articulation, orientation de la paume, mouvement, arrangement des mains l'une par rapport à l'autre et rythme. Dans les descriptions linguistiques des langues signées, on dénomme ce mouvement des mains " comportement manuel ".

En plus des mouvements des mains, la formation des signes requiert la contribution d'articulateurs non manuels incluant notamment la position du tronc et de la tête, l'expression du visage et la direction du regard. Par exemple, en langue des signes québécoise., le signe [SPORT] se distingue du signe [DRÔLE] uniquement par la configuration du visage : sourcils en position neutre et bouche légèrement arrondie dans le cas de [SPORT] et sourcils relevés et sourire dans le cas de [DRÔLE]. La main exécutant dans les deux cas le même mouvement de battement du majeur et de l'index tendus devant le nez, le reste du poing étant fermé.

 

Le mot " drôle " en langue des signes québécoise.

Le mot " sport " en langue des signes québécoise.

 

Pour certains signes, le lien avec les actions ou les objets correspondants est illustratif et un locuteur non initié peut le reconnaître. C'est le cas pour [DORMIR] et [BOIRE] par exemple en Langue des signes québécoise. On appelle cet aspect l'iconicité du signe. Le degré d'iconicité peut varier. Par exemple, le signe pour psychologue en langue des signes américaine et en langue des signes québécoise est composé d'une représentation de la lettre grecque psi ce qui est moins directement visible et passe la plupart du temps inaperçu pour un locuteur non-initié. Enfin, dans d'autres cas, le signe est complètement arbitraire et on ne peut faire aucun lien direct entre ce qui est désigné et le signe qui le désigne.

La grammaire des langues signées se construit dans l'espace. Le locuteur qui élabore un récit doit le rendre visuellement cohérent. Prenons un exemple simple. En français la syntaxe veut que l'on dise dans cet ordre : " La voiture passe sur le pont ". En langue des signes québécoise, on devra d'abord réaliser le signe désignant le pont et le positionner dans l'espace pour pouvoir ensuite faire passer le signe désignant la voiture, en mouvement, au-dessus de l'endroit où l'on a placé le pont. Le mouvement, pour sa part, peut être modifié pour qualifier la manière dont circule la voiture : plus rapide, si la voiture file à tout allure, zigzagant de gauche à droite si telle est la manière dont conduit la personne au volant.

L'activité cérébrale des signeurs

L'étude des aires cérébrales impliquées dans l'usage des langues signées a contribué grandement à notre compréhension de la relation qu'entretiennent cerveau et langage. Première constatation quelque peu déroutante : contrairement à l'intuition qui prêterait un rôle prépondérant à l'hémisphère droit dans le traitement du code visuo-spatial d'un langage signé, c'est l'hémisphère gauche qui est généralement dominant pour la langue des signes, exactement comme pour le langage parlé. En effet, des études en imagerie cérébrale démontrent que les deux grandes aires du langage situées dans l'hémisphère gauche, les aires de Broca et de Wernicke, sont activées de façon identique chez les locuteurs oraux et chez les personnes qui communiquent avec une langue signée. En corollaire, les aires de Broca et de Wernicke ne montrent aucune activité particulière dans le cerveau de sujets entendants qui observent sans les comprendre des sourds communiquer en langue signée.

Ces études montraient aussi des différences au niveau des aires sensorielles primaires impliquées dans la perception du langage : activation des aires auditives primaires chez les sujets entendant la parole, et activation des aires visuelles primaires chez les signeurs.

Même conclusion du côté des études lésionnelles chez les sourds utilisant une langue signée. Des lésions de l'hémisphère gauche incluant l'aire de Broca ont comme conséquences une réduction du nombre de phrases produites et un agrammatisme correspondant tout à fait au modèle classique de l'aphasie d'expression. Lorsque l'atteinte touchait plutôt l'aire de Wernicke dans le lobe temporal gauche, les productions de signes étaient abondantes mais imprécises incluant un trouble important de la compréhension, exactement comme pour les aphasies de réception chez l'entendant.

Fait remarquable, lors d'une lésion de l'hémisphère droit, la négligence de l'espace gauche devant le patient qui se manifeste généralement suite à ces lésions disparaît lorsque les patients signent devant eux. Cela appuie une fois de plus l'idée que leur cerveau traite l'espace de manière différente lorsqu'il s'agit d'y exprimer les relations grammaticales du langage des signes plutôt que de simples relations visuo-spatiales.

L'hémisphère gauche humain semble donc bel et bien spécialisé dans la représentation et la communication symboliques en général et ce, peu importe si les canaux d'accès et d'expression de cette langue sont sonores ou visuels. Plutôt que d'être programmés exclusivement pour la parole, les humains semblent donc être programmés pour le langage en général, qu'il soit gestuel ou verbal.

Une dernière observation intéressante allant en ce sens : les enfants congénitalement sourds de parents sourds utilisant la langue des signes babillent avec leur mains (en faisant des gestes qui sont les précurseurs des vrais signes) exactement comme le babillage vocal des bébés entendants !

Pour des cours de langue des signes :
Les centres de réadaptation spécialisés en surdité de même que certaines universités offrent des cours de langue des signes. Il est possible aussi de s'informer auprès de l'association des Sourds de votre région.


Merci à Julie Châteauvert pour sa contribution à cette capsule.


Lien: Institut Raymond-Dewar (IRD), centre de réadaptation spécialisé en surditéLien: Myth: Sign Language is IconicLien: Langue des signes et langue parlée: compétition ou synergie ?Lien: Nicaraguan Sign LanguageLien: Birth of a Language

Lien :  Canadian cultural society of the deafLien: Sign media inc. Lien: L'IVTLien: National Theatre of the DeafLien: International bibliography of sign language

 Lien: Groupe de recherche sur la LSQ et le bilinguisme sourdLien: Bienvenue sur le site du cours LSQLien: La vraie nature du langage 

 

L’intelligence de nos mains

Des aveugles qui « voient » par écholocation !

 


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