Un patient suivi pendant 30 ans
par le grand neurologue soviétique Alexandre Luria avait l'étonnante
capacité de ne rien oublier ! En regardant pendant quelques minutes des
pages de 30, 50, 70 mots ou chiffres, il était capable une semaine, six
mois, voire 15 ans après (!) de les répéter sans aucun trou
de mémoire.
Sans être autiste ou fou, ce
patient n'était cependant pas normal. Il était
doué entre autre de synesthésie, c'est-à-dire
qu'il n'y avait pas de frontière entre ses différents
sens, ce qui lui permettait de curieuses correspondances.
Il avait entre autres l'étrange capacité d'associer
une couleur, un son ou encore une texture à un mot
ou à un chiffre. Il disposait ainsi d'autant d'hameçons
pour les accrocher dans sa mémoire.
Mais cette faculté n'était pas sans inconvénients: notre
homme avait énormément de difficultés à retenir le
sens d'un texte qu'il apprenait, par exemple. Pour répondre à une
simple question sur ce texte, il lui fallait le relire tout entier dans sa tête
! Par contraste, on voit bien la force de notre petite mémoire "ordinaire":
coder avant tout de la signification. Autrement dit, on oublie les mots du texte,
mais on retient l'essentiel de l'histoire, ce qui est quand même beaucoup
plus utile dans la vie...
EXERCER SA MÉMOIRE CONTRE L'OUBLI
Psychologiquement, l'oubli est une impossibilité
momentanée ou définitive d'évoquer un savoir
ou un souvenir antérieurement fixé.
L'oubli
se distingue de l'amnésie, en
ce qu'il est le plus souvent considéré comme un phénomène
normal. Il porte aussi sur des contenus précis, alors que l'amnésie
affecte une catégorie plus ou moins grande de souvenirs ou efface une tranche
entière de nos souvenirs.
Les
chances de retrouver un souvenir dépendent de plusieurs facteurs dont la
qualité du sommeil et la précision avec laquelle on a étiqueté
ce souvenir.
Il semble en effet qu'un
des rôles de ce phénomène étrange qu'est le
sommeil soit la consolidation des traces mnésiques emmagasinées
durant la journée.
Ainsi, on observe chez l'animal
comme chez l'homme une augmentation de la quantité de sommeil
paradoxal durant la nuit qui suit un apprentissage. À l'inverse, la
privation de sommeil altère l'acquisition de nouveaux apprentissages.
Le
sommeil à onde lente qui survient surtout au début de la nuit
semble lui aussi jouer un rôle dans la consolidation des souvenirs. Certaines
données suggèrent en outre que les deux grandes phases du sommeil
seraient impliquées : ce serait la succession du sommeil à onde
lente et du sommeil paradoxal qui aurait un effet bénéfique.
Le
processus d'organisation est essentiel dans le travail et le succès
du rappel. Deux stratégies principales s'offrent à nous : la répétition
et l'élaboration.
Dans la répétition,
on essaie de garder l'information à mémoriser le plus longtemps
possible dans notre mémoire
à court terme, en se la répétant constamment.
L'élaboration
survient quant à elle lorsqu'on relie l'information à retenir à
d'autres éléments déjà mémorisés dans
sa mémoire
à long terme. Autrement dit qu'on inclut le fait nouveau dans une histoire
cohérente plus vaste et bien connue.
La stratégie
de l'élaboration est à la base de nombreux trucs mnémotechniques,
ces méthodes souvent très anciennes pour ordonner de nouvelles information
et les soustraire aux mécanismes
de l'oubli.
Le
sommeil, Salvador Dali (1937)
Toute personne expérimente
au cours de son développement certaines formes d'amnésies physiologiques.
C'est le cas de l'amnésie infantile qui nous
empêche de nous souvenir de nos trois ou quatre premières années
de vie. En effet, jusqu'à cet âge, l'enfant ne forme pas de véritables
souvenirs épisodiques, alors que c'est paradoxalement un âge où
il acquiert beaucoup de connaissances.
L'amnésie infantile n'est pas
seulement due au fait que les premières années
de notre vie sont les plus éloignées du temps
présent. Elle est attribuée, du moins en partie,
à l'absence de langage et à l'immaturité
du néocortex et d'autres structures cérébrales.
TYPES D'AMNÉSIES
Plusieurs types d'amnésies
existent mais elles peuvent être regroupées en deux grandes classes
selon le type de trauma qui est à leur origine. Ce sont les amnésies
neurologiques (ou organiques) et les amnésies psychogènes (ou fonctionnelles).
Les amnésies
neurologiques sont causées par des dommages
spécifiques au cerveau, généralement dans la région
où l'on retrouve l'hippocampe.
La lésion peut survenir
suite à un traumatisme crânien (un coup sur la tête), un accident
cérébro-vasculaire (une artère qui éclate dans le
cerveau), une tumeur (qui écrase une partie du cerveau), une hypoxie (manque
d'oxygène), certaines encéphalites, un alcoolisme chronique, etc.
Les
amnésies psychogènes sont des désordres de la mémoire
qui résultent de traumatismes psychologiques.
Bien que ces traumatismes
affectent le cerveau d'une certaine manière, il n'y a pas de lésion
décelable ou de dysfonctionnement décelable dans le cerveau de ceux
qui en souffrent.
Ce sont plutôt des événements désagréables
comme un stress chronique, une peur intense, un viol, l'inceste, etc. qui sont
à l'origine de la perte de mémoire.
Il est normal que des
personnes âgées même en santé aient un peu plus de difficultés
à retenir des événements des jours ou des semaines précédentes.
La mémoire de travail est peu touchée par ce phénomène
qui affecte surtout la mémoire épisodique à long terme.
En
effet, les gens âgés ne perdent pas leur mémoire
sémantique (même s'ils peuvent être plus lent dans
des tâches impliquant l'identification de mots) ni le répertoire
de leur savoir-faire (mémoire
procédurale) s'ils ont l'occasion de maintenir ces acquis
par la pratique.
Car si l'on sait maintenant que notre
capital de neurones est tellement important que nous pouvons aller au terme de
notre existence avec des performance mnésiques préservées,
on sait aussi que la mémoire a besoin d'être fréquemment sollicitée
pour bien fonctionner: sa gymnastique doit donc se poursuivre le plus tard possible.
Le patient le plus célèbre
de l'histoire de l'étude de la mémoire dont les initiales étaient
H.M. fut étudié pendant 40 ans à Montréal par le Dr.
Brenda Milner. Pour réduire ses crises d'épilepsie, on avait enlevé
à H.M. une partie de son cortex cérébral qui incluait l'hippocampe.
L'effet secondaire non prévu de cette expérience fut spectaculaire:
H.M. avait un souvenir intact des épisodes de sa jeunesse, mais était
incapable d'accumuler le moindre nouveau souvenir à long terme. Le visage
des gens, ses propres faits et gestes, tout disparaissait en quelques minutes,
confirmant le rôle majeur de la partie manquante de son cortex pour l'acquisition
de nouveaux souvenirs. Fait à noter, sa mémoire
procédurale(celle du "savoir faire" qui
permet de s'améliorer au problème des tours de Hanoï par exemple)
n'était en rien affectée, ce qui soutenait l'hypothèse que
différents systèmes de mémoire reliés à différentes
structures cérébrales cohabitaient chez l'être humain.
Selon que l'oubli se fait "
au fur et à mesure " ou qu'il correspond plutôt à une
impossibilité de se rappeler de certains faits passés, on distingue
deux grands types d'amnésies :
Dans l'amnésie
rétrograde, on oublie les événements de notre vie survenus
avant le trauma, les faits les plus anciens étant les plus résistants
à l'oubli.
Une récupération est possible, mais les
faits les plus rapprochés de l'accident sont moins bien retrouvés
et peuvent être perdus à jamais.
Cette amnésie est souvent associée à des pathologies
neurodégénératives comme la "maladie
d'Alzheimer". Dans ces situations, plus la maladie progresse plus le
passé se dissout.
L'amnésie
antérograde est l'incapacité de mémoriser des faits nouveaux
et donc d'apprendre. A la suite d'une lésion affectant le
circuit de Papez, la personne devient incapable de retenir des faits nouveaux
(mémoire
explicite) on parle "d'oubli à mesure".
Dans cette
amnésie, la mémoire à court terme et la mémoire
procédurale sont conservées puisque indépendantes du
circuit de Papez. On garde ses compétences mais pas le souvenir de les
avoir acquise (l'acquisition concernant la mémoire explicite épisodique).
Elle apparaît à la suite souvent à la suite d'un événement
ponctuel comme un traumatisme crânien, un arrêt cardiaque, une asphyxie,
une crise d'épilepsie, etc.