|
Le peptide bêta-amyloïde,
une fois libéré
de son précurseur APP par les sécrétases, devient soluble.
On utilise alors le terme de monomère pour signifier qu’il
est formé d’un seul peptide. Ou encore l’expression « ligands
diffusibles dérivés de la bêta-amyloïde »
ou ADDL (pour « Amyloid-Derived Diffusible Ligands », en anglais). Ce
monomère de bêta-amyloïde possède toutefois un fort potentiel
d’agrégation par ses feuillets
bêta. Il peut donc ensuite s’associer à un autre monomère
pour former un dimère, ou à quelques autres pour
former un oligomère de bêta-amyloïde. Plus
loin dans la chaîne d’agrégation, on retrouve les protofibrilles
(3 à 6 nanomètres (nm) de diamètre et moins de 100 nm de
long) et finalement les fibrilles (10 nm de diamètre et
plus de 100 nm de long) qui vont former le cœur des plaques amyloïdes.
|
On sait que le diabète
est un facteur
de risque de l’Alzheimer. On sait aussi que les personnes souffrant
d’Alzheimer produisent
moins d'insuline dans leur cerveau et que leurs neurones y sont moins sensibles. Or
l’application d’insuline sur des des neurones de l’hippocampe
semble montrer que celle-ci a un effet neuroprotecteur contre les oligomères
de bêta-amyloïdes qui leur sont dommageables, notamment en empêchant
ceux-ci de se fixer aux neurones. Et cette protection peut être augmentée
par le rosiglitazone, un médicament contre le diabète de type 2. Cette
observation ouvre la voie à des stratégies thérapeutiques
qui consisteraient, par exemple, à rendre nos neurones plus sensibles à
l’insuline naturellement produite dans le cerveau. |
| |
LA PROTÉINE BETA-AMYLOÏDE |
| De nombreuses observations
associent
l’agrégation en plaques de fibrilles de bêta-amyloïde
aux déficits cognitifs de l’Alzheimer. Cependant, le déploiement
spatio-temporel de ces plaques amyloïdes dans le cerveau vieillissant est
plutôt mal corrélé avec l’apparition progressive des
pertes de mémoire et autres
symptômes de l’Alzheimer. Sans parler des individus cognitivement
normaux qui développent des plaques amyloïdes sans aucune trace de
dommages neuronaux associés à ces plaques. Voilà
pourquoi la recherche sur les mécanismes moléculaires de l’Alzheimer
tend à délaisser les dépôts extracellulaires insolubles
des plaques amyloïdes pour s’intéresser à la forme oligomérique
soluble de la bêta-amyloïde. Et en particulier au rôle pathologique
que cette forme non fibrillaire de la bêta-amyloïde pourrait jouer
au niveau synaptique lorsqu’elle est produite en trop grandes quantités
(car elle aurait aussi un rôle physiologique encore mal connu à des
concentrations moindres). Ce modèle explicatif
de l’Alzheimer où l’on considère comme centrale la toxicité
synaptique des oligomères bêta-amyloïdes plutôt que celle
des fibrilles agglutinées dans les plaques a reçu le nom d’hypothèse
synaptique bêta-amyloïde. Celle-ci
s’appuie sur au moins deux phénomènes bien avérés :
la forte corrélation entre le degré de sévérité
clinique de l’Alzheimer et la perte de synapses; et le taux de bêta-amyloïde
soluble qui s’élève dans le cortex avec la progression des
signes pathologiques chez les modèles animaux. Avec
ces modèles animaux de l’Alzheimer, on a pu d’ailleurs faire
plusieurs observations indiquant que les synapses pourraient être affectées
négativement par cette hausse des oligomères de bêta-amyloïde.
Des concentrations physiologiques de dimères et de trimères de bêta-amyloïde
(mais pas de monomères) induisent par exemple une perte progressive de
synapses dans l’hippocampe. D’autres
études, chez la souris, ont montré que des pertes synaptiques réduisant
l’efficacité de la PLT peuvent être observées avant
même l’apparition de plaques amyloïdes. Des oligomères
de bêta-amyloïde de faible poids moléculaire et de nature non
fibrillaire peuvent aussi bloquer la
potentialisation à long terme (ou PLT), l’un des mécanismes
moléculaires à la base de l’apprentissage
et de la mémoire. Ces oligomères sont également nécessaires
et suffisants pour perturber de façon transitoire des comportements appris.
En
2005, Eric Snyder et son équipe franchissaient un pas de plus en montrant
que les oligomères de bêta-amyloïde favorisent l’internalisation,
par endocytose, des récepteurs
NMDA, réduisant ainsi leur disponibilité au niveau de la synapse.
Le mécanisme proposé débute par la fixation de la bêta-amyloïde
sur le récepteur nicotinique alpha-7 qui active la protéine phosphatase
2B. Celle-ci rend alors active une tyrosine phosphatase appelée STEP qui,
en déphosphorylant le récepteur NMDA, augmenterait l’endocytose
de ce dernier. En bout de ligne, cette cascade moléculaire réduirait
donc la densité des récepteurs NMDA dans la synapse, d’où
une diminution de la transmission glutamatergique, et donc de la PLT à
la base de la plasticité synaptique. | 
D’après
Nature
Neuroscience 8, 977 - 979 (2005) | L’exposition
prolongée à des taux élevés d’oligomères
de bêta-amyloïde entraîne aussi un rétrécissement
des épines dendritiques, ces bourgeonnements sur les dendrites des neurones
qui forment la partie post-synaptique de la synapse. Cette baisse de densité
des épines dendritiques est accompagnée par une diminution du niveau
de débrine, une protéine du cytosquelette qui module la plasticité
synaptique, avec le
filament d’actine. Détail intéressant, cette diminution
peut être bloquée par la mémantine, un médicament commercialisé
sous le nom de Namenda et prescrit aux patients souffrant d’Alzheimer. Tout
comme l’administration d’anticorps à la bêta-amyloïde
empêche également cette détérioration des épines
dendritiques. Vers la
fin des années 2000, des travaux ont également établi un
lien possible entre la mort neuronale typique de l’Alzheimer et un mécanisme
d’élimination des connexions neuronales excédentaires
qui prédomine au tout début du développement cérébral.
L’hypothèse ici est que ce mécanisme pourrait être réactivé
par des processus liés au vieillissement. Ceux-ci impliqueraient non pas
la bêta-amyloïde elle-même, mais plutôt la libération
du fragment de l’APP adjacent à la bêta-amyloïde. Ce fragment,
dit N-terminal, déclencherait la cascade de réactions moléculaires
délétères en se fixant sur un récepteur appelé
DR6 (pour « cell death receptor 6 », en anglais). Or
ce récepteur DR6, fortement exprimé dans les régions cérébrales
affectées par l’Alzheimer, est connu pour mettre en marche le phénomène
de mort cellulaire programmée, ou apoptose (voir capsule outil à
gauche). De plus, en bloquant l’activité du récepteur DR6,
on a pu montrer que la dégénérescence axonale était
retardée in vitro, et que les synapses redondantes demeuraient en place
dans certaines régions du cerveau de souris. D’où
l’hypothèse que l’activation du récepteur DR6 par le
fragment N-terminal de l’APP réactiverait des mécanismes de
mort cellulaire programmée normalement actifs au tout début du développement
cérébral. Dans ce modèle, la bêta-amyloïde jouerait
un rôle complémentaire en dégradant plutôt les synapses.
Un autre modèle
proposé à la même époque que le précédent
fait remonter la cause première de l’Alzheimer au-delà des
plaques amyloïdes, à un dérèglement du processus de
division cellulaire. Il s’agit donc ici aussi d’une réactivation
tardive d’un processus ayant cours normalement très tôt durant
le développement, celui de la différentiation
des cellules souches en neurones. Mais les neurones matures et bien différenciés
au niveau de leurs dendrites et de leur axone ne sont évidemment plus adaptés
à la division cellulaire. Par conséquent, la réactivation
des processus à l’origine de celle-ci serait fatale aux neurones
du cerveau des adultes souffrant d’Alzheimer. |
|