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Des
oligomères pour maintenir la trace de nos souvenirs
L’ApoE, une protéine de 299 acides
aminés, joue le rôle de transporteur de cholestérol et permet
la réparation des neurones en assurant le transport des lipides nécessaires.
Cette protéine serait également importante pour d’autres processus
vitaux dans le système nerveux central comme la
myélinisation, la croissance dendritique et la
plasticité synaptique. |
De nombreuses molécules sont certainement
impliquées dans le développement de l’Alzheimer et les annonces
de candidats intéressants sortent régulièrement dans les
médias. Seulement en 2009 et 2010, on a par exemple entendu parler de la
leptine, une hormone produite après un repas par les cellules
graisseuses de l’organisme et qui provoque une diminution de l’appétit.
Or une étude a démontré que les sujets possédant les
plus faibles taux de leptine sont plus susceptibles de développer l’Alzheimer. Les
études de Rémi Quirion et Jonathan Brouillette sur la souris montrent
pour leur part que les individus ayant une activité moindre du gène
de la transthyrétine (TTR) ont plus de probabilités
de connaître des déficits de mémoire comparativement à
ceux dont le niveau d’activité était élevé.
Les chercheurs de l'Institut Buck et du CNRS ont de leur côté
concentré leurs efforts sur la nétrine-1,
connue pour intervenir à la fois au cours du développement du système
nerveux et dans la régulation des cancers. Or chez des souris utilisées
comme modèles de l’Alzheimer, l'injection de cette molécule
amène une réduction des plaques amyloïdes et un rétablissement
des capacités cognitives perdues. Et la liste
de ces molécules dites « prometteuses » en terme
de cibles thérapeutiques potentielles est loin d’être complète… |
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LA PROTÉINE BETA-AMYLOÏDE |
| Déjà décrites
par Alois Alzheimer au début du XXe siècle, les
plaques amyloïdes n’ont commencé à livrer leurs secrets
qu’en 1984 avec la
caractérisation du peptide bêta-amyloïde, leur constituant principal,
par George Glenner et son équipe. La bêta-amyloïde,
et son précurseur l’APP (« Amyloid Protein Precursor »,
précurseur de la protéine amyloïde, en anglais), sont bientôt
devenus au cœur de l’hypothèse de la cascade amyloïde
formulée par Hardy et Higgins en 1992. Il s’agit de l’hypothèse
la plus célèbre sur l’origine de la
démence de type Alzheimer. Elle considère la production puis
l’agrégation de la bêta-amyloïde comme le phénomène
à l’origine des dérèglements dont souffrent les personnes
atteintes d’Alzheimer. Les
pathologies associées à la protéine tau, ainsi que d’autres
hypothèses explicatives, sont alors considérées comme
étant des processus en aval de cette cascade amyloïde. Le
gène de la protéine précurseur de la bêta-amyloïde
(ou APP) est situé sur le chromosome 21, et s’exprime à peu
près dans tous les tissus de l’organisme. Ce gène, après
copie en ARN messagers agencés de différentes façons, conduit
à la production de glycoprotéines dont la longueur peut varier de
695 à 770 acides aminés, avec la forme à 695 acides aminés
qui prédomine dans les neurones du cerveau. L’APP
fait partie de la grande famille des protéines dites transmembranaires,
car elle traverse la membrane cellulaire du neurone : sa longue partie N-terminale
est située dans la partie extracellulaire et sa courte région C-terminale
dans le cytoplasme. La protéine précurseur de la bêta-amyloïde
(APP) peut donc, comme son nom l’indique, être coupée par des
enzymes pour donner d’autres protéines plus petites, dont la bêta-amyloïde.
Des
enzymes distincts coupant l’APP à différents endroits vont
produire deux peptides différents (un peptide est une petite protéine).
Les alpha-sécrétases vont libérer le peptide
sAPP-alpha, qui aurait des propriétés neuroprotectrices et un rôle
utile dans la
plasticité neuronale. Les bêta-sécrétases,
ou BACE (pour « bêta-amyloid cleaving enzyme »,
en anglais), avec l’aide des gamma-sécrétases
vont dégager le peptide bêta-amyloïde. | 
D’après Sisodia 2002 |
On parle d’une voie métabolique « amyloïdogénique »
pour cette dernière et d’une voie « non-amyloïdogénique »
pour la première qui serait donc bénéfique puisqu’elle
empêcherait l’APP de former de la bêta-amyloïde. Selon
l’hypothèse de la cascade amyloïde, un dysfonctionnement dans
la voie amyloïdogénique entraînerait la production accrue de
la forme longue du peptide bêta-amyloïde, celle à 42 acides
aminés. On sait en effet que cette forme à 42 acides aminés,
contrairement à la forme normale qui n’en compte que 40, s’agglutine
plus facilement en plaques amyloïdes. Celles-ci contiennent d’ailleurs
surtout la forme à 42 acides aminés durant les
stades légers et modérés de l’Alzheimer. Ce n’est
que tardivement dans l’évolution de cette démence que la forme
à 40 acides aminés va également se retrouver dans les plaques. C’est
donc l’agrégation de bêta-amyloïde à 42 acides
aminés sous forme de fibrilles (grâce à la juxtaposition de
leurs
feuillets bêta), puis des fibrilles en plaques, qui serait toxique pour
les neurones en permettant une trop grande entrée de calcium dans ceux-ci,
entraînant leur mort par nécrose ou apoptose. La réaction
inflammatoire concomitante, qui se traduit par la sécrétion de radicaux
libres neurotoxiques par les cellules du système immunitaire, accentuerait
cet effet létal. Les plaques de bêta-amyloïde
induiraient donc toute la pathologie subséquente associée à
l’Alzheimer, incluant la
dégénérescence neurofibrillaire. Cette hypothèse
amyloïde, longtemps le paradigme
dominant de la recherche sur l’Alzheimer, a
montré ses limites et est aujourd’hui débattue. Un
certain nombre de faits avérés continuent toutefois de plaider en
sa faveur. C’est le cas de la découverte par l’équipe
de John Hardy, en 1991, que certains cas
de la forme familiale de l’Alzheimer sont provoqués par des mutations
sur l’APP. De plus, ces mutations conduisent à une production accrue
de la forme longue de la bêta-amyloïde, plus propice aux agrégats.
Voilà donc deux observations appuyant l’idée que l’origine
de la cascade d’événements menant à l’Alzheimer
remonte à des mutations affectant la production de bêta-amyloïde. Les
cas les plus fréquents de la forme familiale de l’Alzheimer proviennent
toutefois de mutations sur le gène préséniline 1 (PS1), situé
sur le chromosome 14, ainsi que sur un gène analogue, nommé PS2,
situé sur le chromosome 1. En 1996, différentes équipes ont
montré que ces les protéines PS1 et PS2 mutées favorisent
elles aussi la forme longue de la bêta-amyloïde, probablement en interagissant
avec le catabolisme de l’APP. Tout porte à
croire également que les protéines transmembranaires issues des
gènes de la préséniline 1 et 2 seraient derrière l’activité
enzymatique des gamma-sécrétases, dont le site de coupure sur l’APP
est justement quelque part au mileu de la membrane cellulaire. Sans
être déterminé par des mutations autosomales
dominantes comme pour la forme familiale, l’Alzheimer dite sporadique
n’en est pas moins influencée par certains gènes dont celui
de l’apolipoprotéine E (ou ApoE) est le plus clairement impliqué
(voir l’encadré). En 1993, l’équipe
de Judes Poirier a en effet démontré que la présence de l’une
des
trois formes principales de la protéine ApoE, l’ApoE4, constitue
un facteur de risque tant pour la forme familiale que sporadique de l’Alzheimer.
Différents mécanismes sont possibles pour expliquer cet effet néfaste
de la variante ApoE4, dont une diminution de l’élimination du peptide
bêta-amyloïde. L’ApoE semble aussi être impliqué
dans la formation des fibrilles amyloïdes qui s’agglutinent en plaques.
Il est d’ailleurs considéré comme un cofacteur de l’amyloïdogenèse.
D’autres études chez la souris ont démontré
que l’ApoE4 diminuait la complexité de l’arbre dendritique
des neurones corticaux ainsi que la densité des épines dendritiques.
D’autres suggèrent encore que la protéine ApoE4 est moins
performante dans la réparation neuronale et qu’elle perturbe l’induction
de la
potentialisation à long terme dans l’hippocampe. Un
autre facteur génétique qui pourrait prédisposer à
l’Alzheimer et qui attire de plus en plus l’attention est le gène
de la clusterine, aussi connue sous le nom de Apolipoprotéine J. Il s’agit
d’une protéine versatile qui possède plusieurs propriétés
de protection et de réparation d’autres protéines mal repliées.
Elle peut ainsi se lier au peptide bêta-amyloïde et prévenir
la formation des fibrilles à l’origine des plaques. Elle est également
impliquée dans l’élimination des peptides bêta-amyloïdes
et de leurs fibrilles. On sait depuis la fin des années
1980 que l’expression de la clusterine est augmentée chez les patients
Alzheimer, comme si l’organisme essayait par là de prévenir
la progression des plaques amyloïdes. Vers la fin des années 2000,
deux consortiums internationaux ont également comparé près
de 600 000 marqueurs génétiques chez plus de 20 000 personnes et
ont confirmé l’importance que semble jouer la clusterine dans l’Alzheimer.
Outre ces données mettant en évidence
la production et à l’agrégation de la bêta-amyloïde,
il y a toutefois plusieurs observations qui sont difficiles à réconcilier
avec l’hypothèse de la cascade amyloïde. Par exemple, même
si les souris ayant les mutations de la forme familiale de l’Alzheimer produisent
la forme à 42 acides aminés de la bêta-amyloïode en excès
(et développent les plaques amyloïdes correspondantes), la plupart
ne montrent pas de pertes neuronales significatives, ont peu de phosphorylation
de la protéine tau, et pas de dégénérescences
neurofibrillaires comme le prédit l’hypothèse amyloïde.
Et la même absence de correspondance s’observe dans certaines régions
du cerveau humain comme le cervelet qui peut compter beaucoup de plaques amyloïdes,
mais pas les phénomènes associés selon l’hypothèse
amyloïde. La controverse autour de cette hypothèse
est aussi grandement alimentée par les mauvaises corrélations entre
la dynamique spatiale et temporelle de la formation des plaques et la sévérité
des déficits cognitifs observés. À l’opposé,
le déclin cognitif dans l’Alzheimer est très bien corrélé
avec la perte synaptique. Cela est particulièrement intéressant
en regard des études concernant le
rôle de la bêta-amyloïde sous sa forme non fibrillaire soluble
dans la destruction des synapses. |
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