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Les personnes qui vivent un deuil, une peine
d’amour ou une forme de rejet social décrivent souvent leur douleur émotionnelle
en des termes similaires employés pour des douleurs physiques. Le lien entre les
deux serait plus que métaphorique pensent plusieurs spécialistes de la douleur.
Une étude d’imagerie où les sujets jouaient à un jeu vidéo les faisant
se sentir rejetés a par exemple révélé une activité dans le cortex
cingulaire antérieur, une région du cerveau importante dans la
matrice de la douleur physique. Ces circuits de la douleur physique nous signalent
les risques de blessure ou nous portent à prendre soin des régions corporelles
blessées. Par ailleurs, comme nous sommes une espèce très sociale où l’entraide
est importante, s’isoler ou perdre nos relations interindividuelles les plus significatives,
a de tout temps constitué une menace à notre survie. Que ce soit en nous rendant
plus vulnérables aux prédateurs dans les temps anciens, ou en conduisant
aujourd’hui à l’exclusion sociale et à l’itinérance dans les grandes villes modernes.
Il semble donc que notre système d’attachement social
utilise notre système de douleur physique pour s’assurer que nous restons en relation
avec les autres. Être arraché à un proche ou rejeté d’un groupe nous est donc
douloureux. Par conséquent, nous avons tendance, lorsque c’est possible, à éviter
ces situations. |
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PARTAGER LA DOULEUR DES AUTRES | | Notre
capacité à ressentir ce que ressent autrui semble être
initiée par des mécanismes largement involontaires et non intentionnels.
Nos réponses empathiques apparaissent ainsi très tôt durant
le
développement de l’enfant qui semble littéralement «
pré-câblé » pour entrer
en relation avec sa mère. Cette
résonance affective n’est pas seulement importante pour le lien d’attachement
mère enfant. Elle permettra de créer des liens affectifs avec d’autres
individus, favorisant l’entraide
et la
reproduction, et donc la survie de l’espèce. Cette résonance
mentale automatique avec les autres nous aide aussi à faire des prédictions
rapides sur les actions et les besoins d’autrui. Elle améliore donc
la communication, un atout adaptatif important dans une espèce sociale
comme la nôtre. Par conséquent,
l’empathie humaine semble plonger ses racines au plus profond de l'histoire
évolutive de nos ancêtres les primates non humains et offre,
selon plusieurs, une base biologique à nos comportements moraux. Plusieurs
mécanismes ont été proposés pour expliquer comment
l’empathie humaine aurait pu se développer. Parmi les plus significatifs
figurent ceux sur les neurones miroirs. Les
premiers neurones miroirs ont été identifiés dans le cortex
prémoteur au début des années 1990. Des neurones de cette
région s’activent quand on fait un geste particulier, comme saisir
une tasse pour boire. Mais certains de ceux-ci s’activent également
quand nous sommes complètement immobiles, mais que nous voyons quelqu’un
d’autre faire exactement ce même geste. Que des neurones d’une
région motrice puissent être activés ainsi, de manière
très spécifique par un stimulus visuel, fut une découverte
qui suscita beaucoup d’intérêt dans la communauté scientifique.
Ces neurones, que l’on a maintenant
localisés dans différentes régions cérébrales,
nous permettent de simuler dans notre cerveau ce qui se passe dans celui des autres.
D’où l’idée qu’ils pourraient ainsi nous aider
à comprendre par exemple pourquoi nous pouvons être émus aux
larmes par un simple personnage de cinéma ou de théâtre: l’émotion
exprimée par le comédien activerait nos propres régions cérébrales
correspondant à cette émotion. Ces “réseaux de neurones
partagés” ont été étudiés dans le système
sensorimoteur, mais également dans les circuits de nos réactions
émotionnelles. Il devenait alors
nécessaire de définir plus largement les neurones miroirs en tant
que classe de neurones qui s’activent non seulement quand un individu expérimente
lui-même un événement cognitif endogène mais également
lorsqu’il observe un signe qu’un autre individu expérimente
(ou est sur le point d’expérimenter) le même type d’événement
cognitif.
L’image du doigt d’une autre personne en situation douloureuse active le cortex
cingulaire antérieur (la plus grande région jaune) dans le cerveau de l’observateur.
Source : Jean Decety, University of Washington, Seattle.
| | Dans
le cas de la douleur par exemple, un signe possible pourrait être une manifestation
comportementale de la souffrance, ou encore une simple expression faciale exprimant
la douleur. Un autre signe ou stimulus capable d’initier une décharge des neurones
miroirs associés à la douleur est la simple vue d’un couteau exerçant une pression
sur la peau de quelqu’un (que l’on ne connaît pas nécessairement). Plusieurs
études d’imagerie cérébrale ont localisé dans notre cerveau un
réseau d'aires cérébrales qui est actif lorsque nous expérimentons
une douleur physique. Ces études montrent cependant que ce ne sont pas toutes
les régions de ce circuit qui s’activent lors de la réponse empathique à la douleur
d’autrui, mais principalement les zones associées à la composante affective désagréable
de la douleur, soit le
cortex cingulaire antérieur et l’insula antérieure. Les aires somatosensorielles
primaires et secondaires, de même que des régions comme l’insula postérieure,
qui sont très actives lorsque l’on ressent nous-mêmes une douleur, réagissent
moins avec l’observation de la douleur d’un autre. | Ces
études révèlent donc un recoupement partiel de l’activité neuronale entre une
expérience douloureuse réellement vécue par une personne et l’observation d’une
telle expérience chez une autre personne. La nature partielle de cette activation
a
suggéré des explications possibles sur la façon dont on s’y prend pour distinguer
les deux cas de figure et ne pas confondre la détresse d’autrui avec la nôtre.
Philip L. Jackson et d’autres ont par
ailleurs montré que l’empathie pour la douleur des autres ne génère pas les mêmes
patrons d’activation dans notre cerveau que lorsqu’on s’imagine avoir mal nous-mêmes
(donc sans être soumis à un véritable stimulus douloureux). Durant une telle douleur
imaginée, la matrice de la douleur est plus largement activée, incluant notamment
le cortex somatosensoriel secondaire et la partie dorsale du cortex cingulaire
antérieur. D’autres expériences seront
cependant nécessaires pour déterminer le degré d’isomorphisme de la réponse empathique,
certaines études utilisant la stimulation magnétique transcrânienne ayant montré
une certaine capacité à cartographier sur son propre cortex somatosensoriel la
partie du corps endolorie d’autrui.
Quoi qu’il en soit, le rôle d’une structure
cérébrale comme cortex cingulaire antérieur dans la réponse empathique
à une émotion observée chez autrui a été confirmé dans d’autres
domaines que la douleur. Cette structure s’active par exemple autant
durant l’observation d’expressions faciales de dégoût que lorsque
la personne respire elle-même des odeurs déplaisantes.
L’empathie et la capacité à
percevoir les émotions des autres peuvent parfois défaillir chez
certains individus. C’est le cas par exemple des psychopathes
qui n’ont souvent que des états affectifs très superficiels,
comme le manque ou l’absence de remords pour un crime commis. Cette difficulté
à expérimenter leurs propres émotions leur rend difficile
la reconnaissance de la détresse des autres. Ce qui est confirmé
par le peu de réponses de leur système
nerveux végétatif à la peur, la tristesse ou le dégoût
observé chez une autre personne. Les personnes souffrant d’autisme
démontrent aussi fréquemment une capacité réduite
à éprouver de l’empathie pour les autres. Dans une étude,
Iacoboni a par exemple demandé à des enfants autistes et normaux
d’observer et d’imiter des expressions faciales traduisant des émotions
pendant que leur activité cérébrale était enregistrée
par un appareil d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle.
Bien que les deux groupes aient réussi la tâche, les enfants autistes
ont montré une activité réduite dans leurs circuits de neurones
miroirs, particulièrement ceux dans la région frontale inférieure.
De plus, le degré de réduction de l’activité de ces
neurones miroirs correspondait à la sévérité de leurs
symptômes.
L’étude concluait donc que l’intégrité
de nos systèmes de neurones miroirs semblait essentielle
à un développement social normal.
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