Parce qu'un souvenir peut être
délibérément rappelé ou évoqué consciemment,
le concept psychologique de la remémoration a fini par être considéré
comme une fonction particulière du cerveau. Cependant, on peut voir les
choses autrement : tous nos comportements peuvent être vu comme impliquant
une remémoration. La remémoration volontaire d'un souvenir abstrait
ne serait alors qu'un cas particulier de ce processus très général,
un phénomène lié à ce que l'on appelle la conscience.
EXERCER SA MÉMOIRE CONTRE L'OUBLI
Plus nous pensons au
sens d'une information à mémoriser et à ses relations à
d'autres concepts connus, moins cette information a de chance d'être oubliée.
C'est peut-être pour cette raison que l'oubli est davantage de nature
épisodique
que sémantique : le sens d'un nouveau mot se relierait plus facilement
à notre réseau de connaissances déjà constitué
qu'un événement quelconque de notre vie.
D'une
manière plus générale, un fait quelconque est d'autant plus
vite oublié qu'il s'intègre moins à l'ensemble de la personnalité
et aux activités du sujet. On oublie vite tout ce qui n'est pas soutenu
par une motivation et ne débouche pas sur l'action.
L'oubli
a fait l'objet de différentes théories qui ont trait au processus
de mémorisation ou au processus du traitement de l'information :
La théorie
du déclin :
La mémoire se dégrade et se fragmente
au cours du temps comme tous les processus biologiques.
L'oubli serait dû
au manque d'exercice et à l'absence ou à la rareté des rappels.
Cela se confirme dans la manière dont, statistiquement, on oublie
les mots du langage. Les noms propres, moins souvent répétés,
disparaissent d'abord, puis les substantifs, puis les adjectifs (plus fréquents,
car ils peuvent caractériser plusieurs substantifs), puis les verbes, enfin
les exclamations et les interjections.
La
théorie de l'entrave
L'oubli est une perturbation de la récupération
et non du stockage de l'information.
L'inaccessibilité momentanée
d'une information surviendrait en raison d'un encodage insuffisant, d'un manque
de relation avec les acquis sémantiques ou d'indices de récupération
inappropriés.
Mais l'information stockée existe toujours quelque
part dans la mémoire puisqu'à un autre moment, on peut tout à
coup y avoir accès.
La théorie
de l'oublie motivé
Il y aurait des mécanismes inconscients
qui nous font oublier des faits déplaisants ou angoissants.
Les psychanalystes
montrent en effet que l'oubli est souvent associé à des événements
ayant une connotation désagréable ou porteurs de stress.
Freud
postule un processus sélectif par lequel le sujet rejette ou maintient
dans l'inconscient certains souvenirs liés à des traumatismes passés
dont l'évocation serait insupportable pour lui. La psychanalyse s'appuie
sur l'idée que ces souvenirs refoulés n'ont pas été
oubliés et qu'on peut les faire revenir à la
conscience du sujet.
La
théorie de l'interférence
Il y aurait oubli d'une donnée
parce qu'une autre empêche sa récupération.
Dans l'interférence
rétroactive, les nouveautés tendent à effacer les souvenirs
plus anciens. Et inversement dans l'interférence proactive se sont les
souvenirs plus anciens qui empêchent une bonne mémorisation des faits
nouveaux.
Les interférences rétroactives et proactives permettraient
une mise à jours des connaissances du monde : les informations nouvelles
prennent le pas sur certaines informations anciennes (rétroaction) sans
pour autant toutes les effacer (proaction).
Certaines amnésies sont
très spécialisées et ne touchent qu'un aspect limité
de la mémoire. C'est le cas par exemple de la très curieuse prosopagnosie.
Cette forme rare d'amnésie, empêche la personne de mémoriser
le visage des gens qu'elle rencontre. Que ce soit en vrai ou sur des photos, un
collègue de travail ou un membre de sa famille (et même son propre
visage dans les cas les plus sévères !), s'ils ne voient que le
visage, ces gens ne savent pas à qui ils ont affaire, du moins tant que
la personne n'a pas parlé. Car ils peuvent cependant souvent reconnaître
la voix et la silhouette de quelqu'un, et le reste de leur mémoire fonctionne
normalement.
Ce déficit a mis la puce à
l'oreille des chercheurs qui ont par la suite découvert que certains neurones
de notre cerveau ne réagissaient que lorsqu'on voit des visages, et pas
d'autres objets. Ils expliquent cette spécialisation très poussée
par le fait que 1) la reconnaissance des individus, si importante dans une espèce
sociale comme la nôtre, se fait chez nous principalement par le visage,
et 2) les visages sont tous construits selon un même pattern et ne diffèrent
que par de minimes nuances, d'où les neurones spécialisés
qui leur seraient alloués.
TYPES D'AMNÉSIES
Il existe, tant pour
les amnésies d'origine neurologique (avec lésions organiques) que
psychogène (découlant d'un traumatisme psychique), des syndromes
bien répertoriés. En voici quelques uns :
Amnésies
neurologiques:
La "maladie
d'Alzheimer" survient à un âge avancé et se caractérise
par la dégénérescence de certains neurones du cerveau. Un
des premiers signes d'alerte de la maladie sont les troubles de mémoire.
C'est d'ailleurs ce qui rend difficile son diagnostique précoce puisque
à cet âge plusieurs personnes commencent à avoir des petites
pertes de mémoire (phénomène normal lié au vieillissement).
Mais pour la personne atteinte d'Alzheimer, les différentes formes de mémoire
vont s'effondrer en quelques années: d'abord la mémoire épisodique
(des événements de notre vie), puis la mémoire à court
terme, ensuite la mémoire du sens des mots, puis finalement la mémoire
du savoir faire. Bref, c'est finalement tout le raisonnement, l'attention et le
langage qui se trouvent perturbés.
Le
syndrome de Korsakoff est causé par l'alcoolisme chronique (possiblement
dû à une carence en vitamine B1). Les dommages cérébraux
de ce syndrome amènent une amnésie antérograde qui va en
s'aggravant. Celle-ci peut aussi s'accompagner d'une amnésie rétrograde
(les souvenirs les moins anciens disparaissant les premiers). Souvent totalement
inconscient de son trouble, le malade répond aux questions en fabulant,
avec une sorte d'euphorie qui conduit aussi à de fausses reconnaissances.
Mais la caractéristique essentielle demeure un oubli à mesure, une
amnésie antérograde avec conservation de la mémoire immédiate.
Les
ictus amnésiques sont des amnésies brèves (quelques heures),
aux causes mal connues, et qui apparaissent brutalement. La crise amnésique
dure en moyenne entre six et dix heures chez des sujets par ailleurs en bonne
santé mais ayant dépassé la cinquantaine. Elle ne s'accompagne
d'aucune lésion cérébrale définitive. Pourtant, pendant
la crise, la personne souffre d'une amnésie antérograde majeure,
oubliant quasi instantanément tout ce qui vient de se passer. À
cela s'ajoute souvent une amnésie rétrograde couvrant plusieurs
décennies.
Amnésies psychogènes:
L'amnésie psychogène
la plus courante est celle associée à l'expérience d'un
événement violent, comme une agression ou des sévices
sexuels.
Cette forme d'amnésie psychogène s'accompagne parfois
de fugues survenant après une relation ayant entraîné
un choc émotif. La police recueille souvent ces personnes qui ne se souviennent
ni de leur nom ni de leur adresse.
Ces fuyards perdent leurs souvenirs biographiques,
mais leur mémoire sémantique et procédurale est préservée.
Leurs épisodes amnésiques peuvent ainsi durer de quelques heures
à plusieurs jours, voire parfois des mois. Ces cas demeurent toutefois
rares, même si les médias leur accordent souvent beaucoup d'importance.
Les
troubles de personnalité multiple, dans lesquels deux ou plusieurs
personnalités donnent l'impression de coexister dans le même corps,
impliquent aussi une interruption de la mémoire. Chacune des personnalités
ne semble pas avoir accès aux souvenirs qu'emmagasinent les autres.
Cette
amnésie affecte donc prioritairement les souvenirs biographiques, laissant
la mémoire sémantique et procédurale accessible à
toutes les identités. On pense que ces troubles se développent comme
des mécanismes de défense contre les abus ou les privations durant
l'enfance.
Après un commotion cérébrale
à l'âge de 9 ans, le patient H.M. souffre de crises d'épilepsie
qui ne répondent pas à la médication de l'époque.
En 1953, à l'âge de 27 ans, il subit une intervention chirurgicale
dans le but d'extraire les régions du cortex générant les
crises d'épilepsie. On lui enlève les deux lobes corticaux temporaux
médians, c'est-à-dire l'hippocampe et les aires avoisinantes.
Les crises cessèrent, mais l'opération fut à l'origine d'une
sévère amnésie antérograde qui empêcha dorénavant
H.M. de retenir des faits nouveaux. Décrivant son état comme celui
d'un espèce de rêve éveillé, conservant toute son intelligence
et les souvenirs de son passé lointain, il ne reconnaissait plus le médecin
qui le traitait depuis plusieurs années, lisait constamment les mêmes
magazines, etc.
L'amnésie antérograde
(ou de fixation) et rétrograde (ou d'évocation) réfèrent
à l'incapacité de se souvenir ou de reconnaître de nouvelles
informations ou de nouveaux événements survenus respectivement après
et avant le début de l'amnésie.
Dans
le cas célèbre du patient H.M. par exemple (voir encadré),
on a pu mettre en évidence une sévère amnésie antérograde
à laquelle s'ajoutait une plus légère amnésie rétrograde
couvrant une période de deux ans avant l'opération.
Cette
inhabileté à emmagasiner de nouveaux souvenirs à long terme
eu pour effet de geler littéralement son histoire personnelle et ses connaissances
au niveau où ils étaient au moment de l'opération. Après
celle-ci, H.M. ne pouvait plus par exemple retenir une liste de mots après
un délai de quelques minutes. Il avait aussi de la difficulté avec
les nouveaux mots qui apparaissaient comme jacuzzi ou granola.
Pourtant
sa mémoire à court terme et sa mémoire implicite ainsi que
celle de ses souvenirs lointains étaient intactes. H.M. pouvait par exemple
apprendre de nouvelles habiletés (poursuivre une cible ou copier un objet
dans un miroir, par exemple) même s'il ne se souvenait pas d'avoir effectué
une tâche pourtant longtemps pratiquée. Cette dissociation de la
mémoire déclarative des autres types de mémoire contribua
grandement à jeter les bases des grands
systèmes de mémoire que l'on connaît aujourd'hui.
Le problème
des tours de Hanoï: un des test ayant servi à évaluer les capacités
cognitives de H.M. suite à l'opération l'ayant rendu amnésique.
Source:
Center for Research, Teaching and Learning - National Technical Institute for
the Deaf
Dans ces deux tests, H.M. s'améliore
au fil des jours même s'il a l'impression à chaque jour de faire
le test pour la première fois. Cela montre que malgré son amnésie,
certains apprentissages
procéduraux lui sont encore possibles.