Tout état conscient
est un phénomène global impliquant l’activation de nombreuses
régions du cerveau. Cela étant dit, on connaît certaines structures
cérébrales participant davantage à certains types de phénomènes
conscients.
Ainsi, l’aspect “contrôle volontaire et
donc conscient du mouvement” et l’aspect “perception consciente
des propriétés d’un objet ou de ses
qualia” impliquent l’activation de différentes régions
cérébrales. Dans la méditation axée sur la relaxation
par exemple, ces deux aspects tendent d’ailleurs à se dissocier,
avec un sentiment moindre de l’expérience du contrôle moteur
conscient chez le sujet mais une augmentation de son expérience sensorielle.
Les expériences d’imagerie cérébrale sur les
états méditatifs confirment cette expérience subjective au
niveau cérébral en montrant par exemple une augmentation d’activité
dans l’hippocampe, le
lobe pariétal antérieur et le lobe occipital, des
régions reconnues comme étant actives dans le traitement de l’information
visuelle et somatosensorielle.
Dans les années 1940, Wilder
Penfield a effectué plusieurs opérations pour
enlever des foyers épileptiques chez des patients anesthésiés
localement et donc conscients durant l’opération. Avant de procéder
à l’excision d’une zone corticale, Penfield appliquait des
stimulations électriques à différents endroits sur le cortex
pour être certain de ne pas enlever de régions importantes impliquées
dans la parole par exemple. Lorsqu’il stimulait ainsi le cortex
moteur primaire de ces patients, les membres correspondants bougeaient,
mais les patients affirmaient que ces mouvements étaient involontaires
et non intentionnels.
Ces expériences ont donc clairement démontré
qu’en ce qui a trait aux mouvements, leur aspect volontaire ne dépend
pas du cortex moteur primaire.
L’aire
prémotrice et l’aire motrice supplémentaire, quant
à elles, sont situées juste en avant du cortex moteur primaire.
L’activation de certains groupes de neurones de ces régions produit
des mouvements plus spécifiques de nos membres. Mais encore ici, on est
loin de pouvoir affirmer que ce sont ces régions qui « décident
» d’effectuer tel ou tel mouvement.
VERS UNE CARTOGRAPHIE CÉRÉBRALE DES ÉTATS
DE CONSCIENCE?
Parler de la
conscience au niveau cérébral, c’est d’abord se
situer dans une
perspective philosophique matérialiste, c’est-à-dire considérer
que c’est le cerveau, et donc la matière, qui engendre l’esprit
humain. C’est aussi reconnaître que c’est l’activité
des neurones qui est à l’origine de tous nos processus mentaux
comme l’apprentissage,
la mémoire, la perception, le
langage, etc. Et la conscience, qui émerge en quelque sorte de toutes
les autres propriétés du cerveau, ne fait donc pas exception à
cette règle.
Parler du cerveau
et de la conscience nous oblige aussi immédiatement à parler de
l’inconscient. Le cerveau possède en effet une multitude de circuits
spécialisés qui décodent à tout moment différents
aspects de notre environnement sans que nous en ayons conscience. De même,
la très grande majorité de nos
comportements se font automatiquement sans que l’on ait conscience d’initier
chaque geste. Même chose pour notre langue maternelle dont on utilise correctement
la grammaire sans même nous en rendre compte. Finalement, certaines personnes
souffrant
de lésions cérébrales sont capables d’effectuer
correctement des tâches sans en avoir conscience.
Présentons donc d’abord quelques grandes
régions du cerveau qui semblent particulièrement impliquées
dans le phénomène de la conscience. D’abord la formation
réticulée, dont le niveau d’activité influence
notre état de vigilance, de
veille et de sommeil. Ensuite le thalamus, la gare de triage
de l’information en provenance du reste du corps. Et finalement le
cortex, dont l’importance est cruciale pour toutes les formes de
perception et de contrôle des mouvements
volontaires.
Grâce aux techniques
d’imagerie cérébrale (voir la capsule originale à gauche),
on peut aussi voir les étapes qui mènent à l’émergence
d’une image mentale consciente. Par exemple, quelles régions du cerveau
sont sollicitées en premier, et quelles sont les autres qui s’activent
ensuite pour avoir une perception visuelle consciente ?
Pour
répondre à cette question, Claire Sergent, Sylvain Baillet et Stanislas
Dehaene ont réussi à suivre l’évolution de l’activité
nerveuse lorsqu’un mot brièvement projeté sur un écran
est perçu consciemment ou non. Cette prise de conscience dépend
de la durée de la projection : une durée courte d’environ
un quart de seconde n’est pas perçu consciemment, mais une durée
plus longue de l’ordre de trois quart de seconde, elle, va l’être.
Qu’observe-t-on alors
dans le cerveau lorsque l’on projette un mot brièvement ou plus longuement
? Que le mot soit perçu ou pas, les 275 premières millisecondes
(ms) sont identiques : seul le cortex visuel est activé.
Cela correspond bien au traitement
modulaire bien connu du cortex visuel. Mais par la suite, selon que le mot
est rapporté comme ayant été vu consciemment ou non, l’activité
cérébrale diffère (voir l'animation ci-contre).
Quand
le mot est vu consciemment, l’activation est largement amplifiée
et réverbérée d’abord à travers le cortex
frontal (dès 275 ms), ensuite préfrontal
(dès 300 ms), cingulaire antérieur (dès
430 ms) et finalement pariétal (dès 575 ms). Mais
lorsque le mot n’est pas vu consciemment, l’activation demeure localisée
dans le cortex visuel et s’éteint progressivement
jusqu’à ce que toute activité cesse à partir de 300
ms.
Pour qu’il y ait conscience,
il semble donc qu’il doit y avoir échange ou résonance entre
différentes régions du cerveau. On le voit, les phénomènes
conscients n’émergent pas d’un endroit unique dans le cerveau
mais sont le fruit d’un
système impliquant de multiples régions cérébrales.
D’ailleurs, quand le cerveau d’un individu subit des lésions
localisées, sa conscience peut être modifiée, mais elle s’évanouit
rarement complètement.
La conscience ne semble
également surgir que lorsque des aires dites «supérieures»
comme le cortex frontal, qui est relié aux circuits de l’émotion
et de la prise de décision, sont activées.
En avant des
lobes frontaux se trouvent les lobes
préfrontaux qui reçoivent d’innombrables
connexions des autres régions du cerveau humain. Les
voies visuelles ventrales et dorsales en provenance des lobes temporaux
et pariétaux y aboutissent, pour ne citer que celles-là.
Il
est difficile de définir clairement le rôle du cortex préfrontal.
Mais il semble être impliqué dans la détermination de la
séquence temporelle nécessaire pour une action donnée.
Les patients ayant souffert d’une lésion au cortex préfrontal
à qui l’on demande de reproduire une série de mouvements ont
par exemple tendance à reproduire les bons mouvements mais dans le mauvais
ordre.
Dans des tests où on leur demande de
montrer différents usages pour un objet donné, ils font preuve d'une
grande rigidité comportementale et une répétition excessive
des comportements. En se cantonnant à l’usage le plus commun de l’objet,
c’est comme s’ils échouaient à inhiber cet usage le
plus commun pour laisser venir les autres.
Ces personnes aux lobes
préfrontaux endommagés, comme le célèbre cas de Phineas
Gage (voir la figure ci-contre et les liens ci-bas), peuvent aussi réagir
de manière stéréotypée à la vue d’un
objet, même si le contexte social est inapproprié. À la vue
d’une brosse à dent, ils peuvent par exemple la prendre et se mettre
à se brosser les dents, même s’ils sont chez quelqu’un
d’autre et que la brosse ne leur appartient pas. Quand le caractère
déplacé de leur comportement leur est souligné, ils deviennent
confus ou inventent
simplement une histoire justifiant leur comportement.
Parce
qu’ils sont ainsi à la merci des moindres déclencheurs environnementaux,
les personnes ayant un déficit aux lobes préfrontaux ont beaucoup
de difficulté à formuler des plans et à les suivre. Ils peuvent
aussi avoir des problèmes de mémoire quand la remémoration
implique une stratégie de recherche. Et ils manquent bien souvent de spontanéité,
en plus d'être plutôt indifférents à soi-même
et aux autres. Et malgré tout, leur intelligence générale
est intacte, de sorte qu’ils peuvent répondre correctement à
des questions théoriques ou factuelles, mais ne vont pas souvent initier
une conversation ou demander de l’information.
Le
13 septembre 1848, un ouvrier américain des chemins de fer, Phineas Gage,
eut le crâne traversé par une barre de fer suite à une explosion.
Contre toute attente, Gage se remit de son accident, mais son comportement changeât
radicalement. L'étude de ses lésions permit de mieux comprendre
les fonctions du lobe frontal. Source: Joan M.K. Tycko