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Lannée
2012 en neuroscience
Ocytocine
et autres engouements : rien nest simple
Locytocine
contribue au lien amoureux chez lhomme
La
richesse éloigne les riches de leur humanité
Les différentes espèces
de campagnol, un petit rongeur d’Amérique du Nord, sont devenues,
à cause de leurs mœurs sexuelles très différentes,
un peu comme les mouches drosophiles des généticiens : un modèle
de choix pour étudier les bases moléculaires de l’attachement.
Le campagnol des plaines et le campagnol
des montagnes ne se distinguent ainsi que par leur comportement
amoureux. Les premiers font partie du 3% des espèces
de mammifères qui entretiennent des relations monogames
de longue durée pour élever conjointement leurs
petits. Les seconds, pour leur part, changent souvent de partenaires
et les mâles campagnols des montagnes ne contribuent
guère à l’éducation des petits.
Pourquoi en est-il ainsi, se sont demandé
des scientifiques comme Sue Carter, Thomas Insel ou Larry Young ? Qu’est-ce
qui justifie un tel changement dans le comportement d’espèces partageant
plus de 99% du même matériel génétique? Grâce
aux techniques de la biologie moléculaire, une série d’expériences
a permis de comprendre que c’est uniquement le jeu de deux hormones, l’ocytocine
et la vasopressine (et de leurs récepteurs respectifs), qui explique la
façon radicalement différente dont s’exprime l’attachement
chez ces deux espèces cousines.
Dans un article publié en 2004,
l’équipe de Young a transféré dans
une région très précise du cerveau du
campagnol des montagnes mâles (le pallidum ventral)
le gène codant pour le récepteur à la
vasopressine, qui y est autrement absent. Après les
copulations répétées typiques de cette
espèce qui stimulent la sécrétion de
vasopressine et d’ocytocine, les rongeurs de l’espèce
normalement adepte de la liberté sexuelle deviennent
alors de parfaits monogames ! Et inversement, lorsqu’on
injecte dans le pallidum ventral des mâles de campagnols
des plaines un bloqueur de ces récepteurs à
la vasopressine, ces rongeurs monogames deviennent aussi volages
que leurs cousins !
Fait encore plus remarquable, ces campagnols
des plaines deviennent opportunistes sexuellement parlant,
mais continuent de s’occuper activement de leurs petits.
Mais si on laisse libre ces récepteurs du pallidum
ventral, mais que l’on bloque ceux qui se trouvent dans
une aire voisine (l’amygdale médiane), on supprime
cette fois l’attachement paternel, sans cependant affecter
la monogamie de cette espèce.
Du côté des femelles
le phénomène est similaire, mais l’hormone est différente.
Ici, c’est l’ocytocine dont la distribution des récepteurs
dans le cerveau n’est pas la même chez les campagnols monogames des
prairies et leurs cousins plus libertins des montagnes. Et cette fois, c’est
lorsqu’on injecte un bloqueur de l’ocytocine dans le noyau
accumbens, non loin du pallidum ventral, que l’on rompt l’attachement
stable avec un seul mâle. L’évolution,
en agissant sur la distribution de récepteurs spécifiques à
deux hormones dans différentes régions du cerveau, a donc permis
de sélectionner des stratégies d’accouplement complètement
différentes qui impliquent un rapport à l’attachement qui
l’est tout autant. De plus, chez les campagnols des plaines, on note une
variabilité interindividuelle considérable dans la distribution
des récepteurs à la vasopressine. Une observation qui pourrait expliquer
pourquoi certains campagnols des plaines n’ont pas tous le même degré
de fidélité et ne sont pas tous, comme chez l’humain d’ailleurs,
de parfaits monogames… |
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L'OCYTOCINE : L'HORMONE QUI CRÉE DES LIENS |
| L’ocytocine a d’abord
été reconnue pour son
rôle dans l’accouchement et dans l’établissement par
la suite d’un lien fort entre la mère et l’enfant. Ce lien
profitera bien sûr grandement au bébé humain qui naît
si dépendant dans notre espèce. Mais ce lien sera très accaparant
pour la mère qui doit l’allaiter par la suite, de sorte qu’il
existe un avantage évolutif indéniable aux couples dont le père
demeure plusieurs années auprès de la mère pour l’aider
à s’occuper de la progéniture. Or
ce que l’on a découvert un peu plus tard avec l’ocytocine,
c’est que cette hormone est aussi utilisée chez l’humain pour
favoriser le lien affectif qui unit le père et la mère entre eux,
ce que l’on appelle couramment l’attachement amoureux. Ce dernier
peut être identifié à un
système indépendant venant stabiliser une relation amoureuse
dont la
phase romantique n’est pas toujours ce qu’il y a de plus calme.
L’attachement amoureux favorisé par l’ocytocine permettrait
donc de stabiliser la relation, ce qui aurait un caractère adaptatif pour
la progéniture.
L’ocytocine est un petit petit
peptide de 9 acides aminés produit par le clivage d’une protéine
précurseur qui elle en contient 125. La séquence
des acides aminés de l’ocytocine (Cys-Tyr-Ile-Gln-Asn-Cys-Pro-Leu-Gly)
ne diffère que par 2 acides aminés de celle de la vasopressine (Cys-Tyr-Phe-Gln-Asn-Cys-Pro-Arg-Gly).
Dans les deux peptides, les deux groupements cystéine (Cys) sont aussi
reliés par un pont disulfure, un type de liaison chimique impliquant deux
atomes de souffre. Les deux hormones sont également
produites dans les noyaux supraoptiques et paraventriculaires de l’hypothalamus,
et relâchées dans la circulation sanguine à partir de l’hypophyse
postérieure. | |
La structure et l’expression des gènes
de l’ocytocine et de la vasopressine présentent en outre une grande
ressemblance qui traduit des origines évolutives communes et très
anciennes. Cela dit, on note également une grande diversité dans
leurs types de récepteurs qui expliquerait la large palette de processus
que ces peptides semblent pouvoir influencer. Chez
l’humain par exemple, on connaît bien le rôle primordial de
la vasopressine dans la réabsorption de l’eau au niveau des reins.
Chez plusieurs espèces, la vasopressine serait également impliquée,
à l’instar de l’ocytocine, dans les comportements sociaux,
comme c’est le cas chez le campagnol des prairies (voir l’encadré).
Ses effets dans le cerveau l’humain
sont moins bien établis que ceux de l’ocytocine, mais semblent aller
dans la même direction que l’expérimentation animale, c’est-à-dire
un rôle dans les interactions sociales, mais davantage générateur
de vigilance et d’anxiété. En
ce qui concerne l’ocytocine, ses
effets centraux sur le comportement social de l’être humain vont
en direction opposée : elle réduit l’anxiété
et la peur, induit un sentiment de calme et de sécurité, favorise
la confiance et le rapprochement entre les individus.
| On
ne sera alors pas surpris de constater qu’elle est impliquée dans
plusieurs aspects des interactions sociales amoureuses. Plusieurs études
ont par exemple rapporté des taux élevés d’ocytocine
après des stimulations sexuelles ou bien l’orgasme. |
Associée à la
libération de dopamine accompagnant cette recherche de plaisir, la
sécrétion d’ocytocine forme un cocktail (voir l’encadré
ci-bas) qui contribue à renforcer le sentiment de proximité entre
les partenaires sexuels. Cela participe d’une part à rendre les nouveaux
amoureux inséparables. Et d’autre part, comme on le mentionnait plus
haut, cet attachement renforcé au fil des relations sexuelles augmente
les probabilités du couple de rester ensemble pour s’occuper des
enfants en bas âge.
L’accouplement,
la formation d’un couple et l’attachement à son partenaire
sont trois phases généralement observées dans la reproduction
humaine. Il s’agirait de trois systèmes relativement distincts auxquels
est associée l’activité de neurotransmetteurs particuliers.
Les hormones sexuelles, testostérone et œstrogène,
sont impliquées dans la première phase, celle du désir et
de la pulsion sexuelle qui mène à l’accouplement.
Durant la
phase de l’amour romantique, celle qui mène
à la formation d’un couple stable avec une autre
personne, d’autres neurotransmetteurs prennent le relais.
D’abord l’adrénaline et le cortisol, reliés
au stress que provoque le début de la relation, le
cœur battant et les mains moites en présence
de l’être aimé. La dopamine, bien sûr,
associée à toutes les récompenses qui
viennent avec le nouveau partenaire. Et la sérotonine,
dont les concentrations seront à la baisse durant cette
phase, contrairement aux autres neurotransmetteurs. Des taux
de sérotonine qui peuvent être aussi bas que
ceux des personnes souffrant de troubles
obsessionnels-compulsifs, comme le rapportent certaines
études. D’où le comportement des nouveaux
amoureux complètement obnubilés l’un par
l’autre…
Le
facteur de croissance des nerfs ou NGF
(pour « Nerve Growth Factor », en anglais), une protéine indispensable
à la survie et à plasticité des neurones, est surtout connu
pour son rôle durant le
développement. Mais le NGF est également de plus en plus
reconnu comme jouant un rôle au niveau des émotions et de l’anxiété.
Or on a mesuré des taux plus élevés de NGF chez les nouveaux
amoureux, comparativement aux gens en couple depuis longtemps ou n’ayant
pas de relations amoureuses. Par ailleurs, le fait
de tomber amoureux ne se traduit pas exactement de la même façon
pour d’autres hormones selon que l’on est une femme ou un homme. Le
caractère stressant d’une nouvelle relation provoque en effet une
élévation du taux de cortisol chez les deux sexes, mais celle-ci
est accompagnée chez la femme d’une hausse de testostérone,
tandis que chez l’homme le taux de testostérone diminue. Enfin,
l’attachement qui s’installe entre les deux partenaires sexuels est
en grande partie sous contrôle de l’ocytocine. Par son action sur
le
système nerveux parasympathique, l’ocytocine a un effet anxiolytique
qui se traduit par une baisse du rythme cardiaque et de la pression sanguine.
De là à dire que des rapports sexuels réguliers réduisent
les risques de crises cardiaques, il n’y a qu’un pas… qu’une
étude de 2001 menée par des chercheurs irlandais tend à confirmer
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