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Quel
chemin trace le désir ? La piste de locytocine
En plus des effets hormonaux que l’ocytocine
provoque en circulant dans le sang, il est apparu, dans les années 1970,
qu’elle était également utilisée par certains neurones
du cerveau comme neurotransmetteur. Ses effets sur différentes régions
du cerveau ne viennent donc pas de l’ocytocine relâchée dans
le sang au niveau de l’hypophyse
postérieure puisque cette hormone est incapable de franchir la barrière
hématoencéphalique. Ils proviennent plutôt d’axones
collatéraux des neurones à ocytocine de l’hypothalamus qui
vont rejoindre différentes structures cérébrales. C’est
grâce à ces axones collatéraux en provenance des mêmes
neurones que ceux qui se projettent dans l’hypophyse postérieure
que les effets hormonaux et centraux de l’ocytocine peuvent être coordonnés. Parmi
ces structures cérébrales riches en récepteurs membranaires
spécifiques à l’ocytocine, structures impliquées notamment
dans la genèse et la perception des émotions, on retrouve l’amygdale,
l’hypothalamus ventromédial, le septum, le
noyau accumbens et le tronc cérébral. L’influence
de l’ocytocine sur l’activité de l’amygdale a aussi été
confirmée par imagerie cérébrale lors d’expérience
où la confiance des sujets envers autrui était mise à l’épreuve.
Chez les sujets ayant reçu une vaporisation nasale d’ocytocine, l’activation
de l’amygdale était moindre que chez ceux ayant respiré un
placebo. Dans la même expérience, l’ocytocine diminuait
également le niveau d’activité du striatum
dorsal, une région activée quand nous hésitons à
prendre une décision en cas de conflit. |
Plusieurs expériences chez l’animal
et chez l’humain appuient l’hypothèse que la production d’ocytocine
suite à une interaction sociale positive accélérerait la
guérison de blessures en diminuant l’inflammation produite par certaines
cytokines. Cette inhibition des cytokines par l’ocytocine semble également
à l’origine de l’effet antidépresseur
de celle-ci, puisque l’action pro-inflammatoire des cytokines est associée
à la
dépression. Ces études appuient au niveau moléculaire
l’effet
bénéfique déjà connu sur la santé des interactions
et du soutien social. |
Une étude publiée en 2003 démontre
qu’une séance de jeu et de câlins de 5 à 24 minutes
entre un maître et son chien est suffisante pour élever significativement
le niveau d’ocytocine dans le sang de l’humain comme du chien. Fait
à noter, l’augmentation du taux d’ocytocine était plus
élevée chez les humains qui avaient joué avec leur propre
chien plutôt qu’avec le chien d’un autre. Une donnée
qui va dans le sens de nombreuses autres montrant que l’interaction avec
un proche est l’un des meilleurs stimulus pour la sécrétion
d’ocytocine. Et qui pourrait expliquer en partie le fort lien émotionnel
qui peut exister entre un humain et un chien. |
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L'OCYTOCINE : L'HORMONE QUI CRÉE DES LIENS |
| Tant chez les humains
que chez les autres animaux, on peut dire que l’ocytocine est un peptide
qui joue le rôle de ciment
des relations sociales. Elle aurait en effet la capacité d’associer
les contacts sociaux à des sentiments agréables, aidée en
cela par d’autres neuromédiateurs, telle la
dopamine. On le constate d’abord chez la
femme, avec le lien mère-enfant, durant la
grossesse, l’accouchement puis l’allaitement. Puis avec son rôle
primordial pour stabiliser
l’attachement entre les amoureux. Avec la
vasopressine qui partage avec elle 7 acides aminés sur 9, l’ocytocine
permet plus généralement de surmonter la méfiance naturelle
pour la proximité avec autrui et de faciliter ainsi tous les types d’interactions
sociales.
L’ocytocine, comme plusieurs peptides,
est produite à partir d’une protéine précurseur plus
longue. Sur ce précurseur de 125 acides aminés (traduit à
partir du gène OXT), l’ocytocine se trouve entre les acides aminés
20 à 28. Avant elle, les acides aminés 1 à 19 forment ce
qu’on appelle un “peptide signal”. Et après elle, des
positions 29 à 125, se dégage une autre protéine active,
la neurophysine 1.
Plusieurs réactions enzymatiques
sont nécessaires pour détacher ces différents
fragments. La dernière hydrolyse qui va libérer
l’ocytocine du précurseur est assurée par
l’enzyme PAM. L’ocytocine est alors emmagasinée
dans de grandes et denses vésicules et attachée
à la neurophysine 1, qu’on qualifie de “transporteur”
de l’ocytocine. |
La petite molécule d’ocytocine attachée
à sa grande molécule
“transporteur”, la neurophysine 1.
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Les deux molécules seront ensuite acheminées
de leur site de production dans le corps cellulaire des neurones paraventriculaires
et supraoptiques de l’hypothalamus jusqu’à leur site de libération
dans le bouton terminal de l’axone situé dans
l’hypophyse postérieure. L’ocytocine
exerce son action sur ses cibles en s’y fixant sur des récepteurs
spécifiques. Le récepteur à l’ocytocine fait partie
de la famille des récepteurs couplés à une protéine
G de classe I (de type rhodopsine).
La fixation de l’ocytocine sur ces récepteurs amène l’activation
de phospholipase C conduisant à une augmentation de la concentration intracellulaire
de calcium. Ce dernier favorisant les
interactions entre fibres d’actine et de myosine, les fibres musculaires
de l’utérus et des glandes mammaires vont alors se contracter.
La vasopressine, également transportée
par une neurophysine, est traduite à partir d’un gène
situé non loin de celui de l’ocytocine sur le même
chromosome. On croit que les deux gènes résulteraient
d’une duplication d’un gène ancestral commun
qui aurait existé il y a environ 500 millions d’années.
Si bien qu’aujourd’hui, à peu près tous
les vertébrés ont, d’une part, un peptide de
9 acides aminés semblable à l’ocytocine humaine
associé aux fonctions reproductrices, et d’autre part
un peptide de 9 acides aminés similaire à la vasopressine
et impliqué dans la régulation osmotique.
Oxytocine et vasopressine sont donc
des neuro-hormones cousines contribuant depuis très longtemps à
la survie de l’organisme, bien que selon des stratégies bien différentes.
L’ocytocine régule un système dédié au lien
et à l’attachement, qui favorise le calme et les contacts physiques
et sociaux. | |
À l’opposée, la vasopressine,
outre son rôle principal dans la réabsorption de l’eau au niveau
des reins, peut aussi être relâchée dans des conditions de
stress,
de douleur
ou d’exercice intense. Elle participe alors à la mobilisation des
systèmes de
fuite ou de lutte. Des spécialistes de l’ocytocine
affirment qu’au-delà de son rôle bien établi dans le
lien mère enfant et dans le lien amoureux, nous nous administrons une bonne
dose d’ocytocine chaque fois que nous sommes impliqués dans une interaction
affectueuse avec quelqu’un qu’on aime. Et ce sentiment de bien-être
ressenti lorsqu’on se sent “connecté” à notre
famille et à nos amis est observable également chez d’autres
espèces comme le rat, et semble important dès qu’une espèce
a une vie sociale un tant soit peu élaborée. Pas étonnant
de noter qu’un des premiers réflexes d’une personne qui prend
possession d’un bureau est d’y afficher quelques photos de famille
ou d’amis… Des
études ont mis en évidence cette association entre ocytocine et
stimuli sociaux positifs. Des personnes ayant inspiré davantage d’ocytocine
se rappelaient mieux des visages joyeux que des visages tristes ou n’exprimant
aucune émotion. D’autres reconnaissaient mieux des indices sociaux
positifs que menaçants après inhalation d’ocytocine. D’autres
encore étaient plus sensibles aux annonces concernant les services publics
et plus enclins à faire des dons pour les améliorer. D’autres
études mettant à profit des tests psychologiques sur les habiletés
sociales des participants ont démontré que l’ocytocine améliore
l’empathie surtout chez les sujets ayant les capacités sociales les
moins développées. Ces résultats ont d’ailleurs suscité
de l’intérêt sur le potentiel thérapeutique de cette
molécule pour atténuer les symptômes de dysfonctionnements
sociaux comme les
phobies ou l’autisme. En réduisant
l’anxiété et favorisant la confiance (voir l’encadré
ci-bas), l’ocytocine contribue donc à la stabilisation des liens
sociaux et des comportements de type coopératif, altruiste, empathique
ou même de sacrifice. Ce dernier pouvant être associé à
l’agressivité
défensive de la mère, par exemple face à un individu
du groupe qui triche ou refuse de coopérer. Elle contribue donc non seulement
à moduler nos émotions, mais également à influencer
des processus de plus haut niveau comme nos jugements moraux.
Lors d’une expérience visant à
déterminer le niveau de confiance envers le sens de l’équité
d’autrui, de l’argent était mis à la disposition des
sujets afin qu’ils décident quelle somme ils voulaient confier à
un administrateur fiduciaire. Ceux qui n’investissaient rien restaient avec
leur capital initial; mais en confiant leur argent à son administrateur,
il pouvait l’augmenter considérablement, ou tout perdre, si ce dernier
décidait de tout garder pour lui. Près de la moitié
des sujets qui avaient inhalé une dose d’ocytocine au début
de l’expérience offrait la totalité de leur capital à
l’administrateur fiduciaire, alors que du côté de ceux ayant
inhalé un placebo,
seule une personne sur cinq prenait un tel risque. Dans une variante de
cette expérience, c’était un ordinateur, et non une personne
réelle, qui demandait la confiance du joueur. Les investisseurs ayant
reçu de l’ocytocine ne faisaient alors pas davantage confiance à
l’ordinateur que leurs collègues ayant reçu le placebo. Un
résultat plutôt étonnant qui montre bien qu’on a ici
véritablement affaire à un renforcement du lien de confiance avec
un congénère, et non à une simple augmentation de la témérité,
par exemple. Dans une étude publiée en 2008, Paul
Zak propose que l’ocytocine puisse aussi favoriser la générosité
en augmentant notre empathie pour autrui. Dans un contexte expérimental
où chaque sujet devait se mettre à la fois à la place d’une
personne qui donne et qui reçoit de l’argent, les résultats
indiquent que le fait d’inhaler de l’ocytocine rend les gens plus
généreux dans leurs dons. En fait, comme il s’agissait d’argent
réel, on a calculé que ceux qui avaient reçu de l’ocytocine
repartaient du laboratoire avec 5% de moins d’argent que ceux qui avaient
reçu un placebo.
Mais cette générosité était spécifique
à la situation où le donneur était incité
à se mettre à la place du receveur. L’effet
comportemental de l’ocytocine se manifestait donc encore
une fois ici que dans une situation d’empathie, quand
un lien réel était établi avec un autre
individu. Pour Zak, il ne fait aucun doute que nos interactions
quotidiennes avec les autres nous placent constamment en situation
où nous sommes amenés à donner un peu
de temps ou de ressources à autrui. C’est la
base de ce qu’on pourrait appeler le
« ciment social » auquel une molécule
comme l’ocytocine contribue significativement.
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