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Le sentiment
d'être soi |
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Il faut rester prudent
devant les corrélations qui existent entre quelques
propriétés de la conscience et celles parfois
assez singulières du monde de l'infiniment petit.
Les critiques adressées aux théories moléculaires
ou quantiques de la conscience leur reprochent souvent cette
tendance à vouloir faire de ces corrélations
un modèle explicatif global de la conscience.
Ainsi, parce que l'anesthésie entraîne la perte
de conscience, on mettra au centre du modèle les
protéines des microtubules qui seraient
affectées par certaines substances anesthésiantes.
Ou encore on associera le caractère imprévisible
et changeant de la conscience au principe
d'incertitude et aux superpositions d'états de la physique
quantique.
Si le rôle d'un nouveau mécanisme moléculaire
s'avérait bel et bien essentiel pour la conscience,
il y a toutefois peu de chance qu'il explique à lui
seul le phénomène complexe de la conscience
humaine. Il devra plutôt s'intégrer dans une
théorie qui s'articule également aux niveaux
d’organisation supérieurs (neuronal, cérébral,
psychologique, etc.). Exactement comme c’est le cas
d'autres mécanismes moléculaires qui s'articulent
avec les
facteurs environnementaux ou psychologiques pour expliquer
les défenses immunitaires de l'organisme,
par exemple. |
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DES EFFETS QUANTIQUES À LA BASE DE LA CONSCIENCE? |
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La plupart des hypothèses
qui tentent de faire des liens entre notre conscience subjective
et ce qui se passe dans notre cerveau le font au niveau des neurones
ou des assemblées
de neurones. L'expression consacrée pour décrire
cette démarche, les
« corrélats neuronaux de la conscience »,
exprime d'ailleurs très bien ce postulat qui veut que
la clé des processus conscients réside dans l'activité de
nos cellules nerveuses.
Et de fait, l'activité des neurones
et les liens qu'ils entretiennent entre eux se retrouvent au cœur
de nombreux modèles comme ceux impliquant par exemple les
boucles thalamo-corticales, les
oscillations synchrones à 40 Hz ou encore l'influence
des noyaux intralaminaires du thalamus sur la synchronisation
neuronale.
Mais il existe de nombreuses théories
qui tentent de relier le fonctionnement de notre conscience à des
structures moléculaires et même aux effets si particuliers
de la
physique quantique de l'infiniment petit. Il est en effet probable
que de plus en plus de mécanismes en deçà du
niveau neuronal vont
être découverts à mesure que nos techniques
d'investigation de l’infiniment petit se raffinent. Et il
ne sera pas surprenant de découvrir que certains de ces
nouveaux mécanismes auront une influence sur notre conscience.
Une première molécule qui pourrait
bien avoir un rôle dans les mécanismes de la conscience
est le récepteur
NMDA. Il s'agit d'une protéine sur laquelle se fixe
le glutamate, ce neurotransmetteur excitateur
relâché dans les synapses d'un
grand nombre de neurones. Cette grosse molécule en forme
de canal est donc insérée dans la membrane du neurone
qui reçoit le neurotransmetteur, et son ouverture, suite à la
libération du glutamate dans la fente synaptique, va mettre
en branle toute
une série de réactions biochimiques. qui va aboutir à une
plus grande efficacité de cette synapse.
Les récepteurs NMDA sont donc une
composante de premier plan du mécanisme par lequel nos neurones
peuvent créer des associations durables entre eux en renforçant
leurs connexions réciproques, ce qui permet la création
de ce que l'on appelle les
assemblées de neurones. Et comme ces assemblées
sont des acteurs importants de bons nombres de modèles
neurobiologiques de la conscience, il semble tout à fait
pertinent d'assigner au récepteur NMDA un rôle non
négligeable dans nos processus conscients.
Et c'est ce que fait le neurobiologiste
allemand Hans Flohr en suggérant que les synapses
qui ont des récepteurs NMDA sont celles qui peuvent
le mieux se renforcer lorsque l'organisme détecte
des régularités dans son environnement.
Flohr rappelle également qu'une substance anesthésiante
comme la kétamine, bloque l'effet excitateur
normal du glutamate sur les récepteurs NMDA et provoque
la perte de conscience. |
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Une autre substance anesthésiante, l'oxyde
nitrique (le « gaz hilarant »), qui
est pourtant une molécule d’un type complètement
différent de la kétamine, agit ailleurs
sur la chaîne de réactions induite par le
récepteur NMDA pour produire en bout de ligne
des effets semblables. |
Par conséquent, Flohr en conclut que
le fonctionnement normal du récepteur NMDA et de ses seconds
messagers est nécessaire à la conscience.
Plusieurs objections ont cependant été faites à cette
approche qui n'implique pas ici d’effets quantiques en tant
que tel. Certains ont rappelé que le fonctionnement normal
d’innombrables mécanismes moléculaires, et
pas seulement du récepteur NMDA, est nécessaire au
bon fonctionnement de la conscience. D'autres ont fait remarquer
que le bon fonctionnement des synapses à NMDA est aussi
important pour les
processus inconscients ou encore à la formation d'assemblées
de neurones ne participant pas à des processus réflexifs.
Une autre grande objection vient du fait
que d'autres substances anesthésiantes fonctionnent assez
différemment de la kétamine ou de l'oxyde nitrique.
L'étomidate, par exemple, endort en potentialisant
les
récepteurs GABA. Selon l'hypothèse de Flohr,
il faudrait que l'étomidate inhibe indirectement les
récepteurs NMDA, ce dont on n'a pas de preuve. Et même
si c'était le cas, les deux drogues devraient avoir les
mêmes effets anesthésiants. Mais ce n'est pas le
cas non plus, l'étomidate n'ayant pas les mêmes
effets analgésiques que la kétamine. |
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On voit poindre ici un problème
encore plus vaste qui découle du fait que d'innombrables
substances peuvent nous rendre inconscient. Or elles le font
de manières si différentes qu'il faut admettre
que l'état inconscient qu'elles induisent n'est pas simplement
le manque d'une chose qu'on appellerait « la conscience ».
Donc s'il est vrai qu'en science on peut généralement
tenter de comprendre une chose en regardant les effets de son
absence, force est d’admettre qu'avec la conscience, cette
démarche s'avère bien incomplète.
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