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Ce n’est généralement
pas la personne elle-même mais un
proche qui, remarquant les troubles de mémoire de son époux,
de son père ou de sa mère, demande une consultation médicale.
Le patient semble souvent moins remarquer ou moins s’en faire que son entourage,
ce qui témoigne d’une certaine forme d’anosognosie. Le
médecin doit choisir un moment propice pour annoncer le diagnostic afin
d’avoir le temps nécessaire pour établir un rapport de confiance,
d’empathie et de disponibilité envers le patient. Il pourra alors
lui fournir des explications détaillées et adaptées aux caractéristiques
de sa culture. Il doit aussi tenter de dédramatiser cette annonce en lui
rappelant que bon nombre de personnes atteintes d’Alzheimer continuent malgré
tout à vivre une vie active et intéressante. Il devra finalement
intégrer rapidement le patient dans une équipe de soin cohérente
qui implique souvent les proches et des groupes d’entraide. Ceux-ci
devront à leur tour être informés sur les meilleures façons
de communiquer
avec la personne Alzheimer, d’aménager l’espace autour d'elle,
etc. |
L'approche biomédicale
met encore trop souvent l'accent que sur les pertes de capacités cognitives
lors de l’annonce d’un diagnostic d’Alzheimer aux patients.
Ceux-ci réagiront à cette annonce selon leur culture
et selon leur propre rapport à la cognition et à la mémoire
dans leur culture. Ce diagnostic aura par exemple moins d’impact
dans les familles d'Américains-Chinois, car les problèmes de mémoire
et de troubles du comportement associés sont considérés comme
faisant partie de l'évolution normale de la vieillesse. Mais ailleurs,
comme sur l'île de la Réunion, l'expression « avoir de la mémoire
» signifie faire preuve d'un bon état de santé psychique,
d’avoir conscience de soi-même et la capacité de se maîtriser.
Pas étonnant alors que pour les Réunionnais, se faire dire qu’ils
vont progressivement perdre la mémoire est un verdict terrible. Et il n’est
pas rare que la personne atteinte refuse tout simplement le diagnostic. |
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LE SOUTIEN FAMILIAL ET SOCIAL | | La maladie d'Alzheimer est
la démence
qui a la plus forte prévalence.
L’âge
est son principal facteur de risque et l’espérance de vie dépend
de l’âge du patient lors du diagnostic. Elle se développe sur
plusieurs années au cours desquelles de nombreuses facultés cognitives
de la personne vont décliner. L'annonce
du diagnostic (voir l’encadré à gauche) est donc la première
épreuve à laquelle les patients Alzheimer sont confrontés.
Pour donner un sens aux changements qui les affectent, il arrive qu’ils
essaient d’abord de justifier leurs déficits cognitifs par diverses
explications, comme d’invoquer la fatigue. Un travail psychologique difficile
les amènera à admettre ce qui leur arrive. Certains vont alors parler
plus ouvertement de leur état, d'autres non. Mais tous semblent élaborer
une stratégie afin de préserver un sens à leur vie quotidienne
et surtout leur identité. En
analysant le discours de patients Alzheimer, des philosophes en sont venus à
distinguer deux « soi » dans l'identité d'une personne Alzheimer.
Un premier est lié à l’histoire de vie personnelle. Malgré
leurs problèmes
de mémoire, beaucoup de patients Alzheimer demeurent capables de situer
ce qui leur arrive dans leur propre histoire. Ce « soi »
reste donc relativement intact. Il correspond au « je »
que la personne Alzheimer continue d’ailleurs d’utiliser. Un
second « soi » découle de la dimension publique de
la personne. Celui-là peut être très diminué parce
que l’individu en vient à ne plus pouvoir assumer son rôle
social habituel. L’ampleur de la perte de ce « soi social »
va dépendre en grande partie de la perception que les autres vont avoir
de la personne Alzheimer et de la façon dont ils vont agir envers elle.
L'importance du regard des autres pose la question
de la représentation sociale de l’Alzheimer, l’un des troubles
psychiques sans doute les plus médiatisés. Or, les images véhiculées
par les grands médias ont une connotation souvent catastrophiste. Les métaphores
et les images employées montrent habituellement les aspects les plus sombres
de l’Alzheimer qui ne peuvent qu’alimenter une forte anxiété
à son endroit. Il
s’agit là d’un biais bien connu propre aux grands
médias, celui d’un certain sensationnalisme, où c’est
presque toujours les personnes au stade avancé de l’Alzheimer qui
sont la référence. En début de maladie, les personnes qui
ont toujours de nombreuses facultés préservées ne semblent
pas assez «médiatiques». Résultat : le malade Alzheimer
est présenté comme un individu passif et les capacités perdues
soulignées à grands traits. Pas
étonnant, dans ce contexte, qu’une étude examinant les préoccupations
de personnes neuf mois après avoir appris qu'elles étaient atteintes
d'Alzheimer révélait qu'elles avaient peur d’être prises
en pitié, d’être humiliées, de ne plus être écoutées
ou de carrément devenir « folle ». Sans parler de
la honte qui les poussait à demander à leurs proches de cacher le
diagnostic à leurs amis. Des
chercheurs comme Peter
Whitehouse insistent sur l'immense pouvoir des mots et des étiquettes
dans nos vies. Pour eux, il faut bannir les représentations actuelles où
le verdict d’Alzheimer suscite une vision apocalyptique de l’avenir.
Ils nous invitent plutôt à raisonner en termes de capacités
préservées. Car les personnes en proie à des troubles cognitifs
conservent un potentiel d'épanouissement personnel tout au long de leurs
années de déclin. Mais pour que puisse
s’actualiser ce potentiel, encore faut-il que nos sociétés
réintègrent le vieillissement et le déclin des facultés
mentales comme une étape de la vie. Les personnes dites Alzheimer trouveront
alors dans cette société «troubles cognitifs admis»
une place pour nourrir encore des buts dans l'existence, notamment à travers
des projets
intergénérationnels. Dans l’immédiat,
l’attitude de l’entourage lors de la prise en charge de la personne
Alzheimer peut déjà contribuer à son bien-être. En
particulier, conserver une
bonne communication avec elle. Car l’une des choses les plus importantes
pour maintenir le lien social est de donner simplement à la personne atteinte
des opportunités de parler d’elle. À l’opposé,
les pratiques d'infantilisation, d'intimidation ou de stigmatisation mènent
à une baisse de l'estime de soi et au risque d’isolement social qui
vient avec. Plusieurs recherches ont également mis en évidence les
bienfaits pour le patient de demeurer le plus longtemps possible dans son milieu
de vie où il a ses habitudes. À un stade avancé de la maladie,
il devient cependant parfois impossible de le faire. Toujours
dans l’idée de maintenir l'identité de la personne façonnée
par son passé et son présent, on doit aussi favoriser des activités
adaptées à sa personnalité et ses intérêts.
Par exemple des activités musicales, si la musique a été
un fil conducteur de sa vie. La tenue d’un journal où la personne
fait le récit de sa vie, agrémenté de photos significatives
pour elle, peut aussi stimuler les souvenirs
autobiographiques, et par là, les facultés cognitives préservées
en général. |
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