Certaines protéines
participant aux boucles de rétroaction de notre horloge
biologique seraient aussi impliqués dans le contrôle
du cycle
de division de nos cellules.
Si des protéines de l’horloge biologique participent
aux mécanismes de division cellulaire, elles pourraient
donc également être impliquées dans les
anomalies des cycles cellulaires comme la proliférations
de tumeurs cancéreuses par exemple. Chez la souris par
exemple, certains dérèglements du NSC amènent
les tumeurs à proliférer plus rapidement, tandis
que chez l'humain, certains types de cancer sont plus fréquents
chez les travailleurs de nuit.
Le fait que certaines chimiothérapies
varient en fonction du moment de la journée où
elles sont administrées s'ajoute aussi à
tous ces liens intimes qui existent entre horloge biologique
et cycle cellulaire.
LES ROUAGES DE L'HORLOGE BIOLOGIQUE
Les rythmes circadiens (du latin circa dies,
pour
« environ une journée ») que l’on
observe tant chez les animaux que chez les plantes sont produits
par une horloge moléculaire qui
fonctionne comme une boucle de rétroaction négative.
Ce type de boucle est très commun en biologie. Ce qui l’est
beaucoup moins, c’est la longue durée de celle-ci.
D’habitude, les boucles de rétroaction sont de l’ordre
de la minute, de la seconde ou même de la milliseconde dans
les organismes vivants.
Les différentes composantes de cette boucle très
spéciale de 24 heures ont d’abord été
isolées chez la mouche drosophile au début des années
1970 (voir capsule histoire à gauche).
À la fin des années 1990, les gènes de souris
et les gènes humains équivalents aux gènes
de la mouche furent isolés. De plus, ils s'exprimaient dans le
noyau suprachiasmatique, ce qui était cohérent
avec le rôle connu de ces neurones dans le contrôle
du rythme circadien.
Chez l’humain, on peut décrire le rôle des
principaux acteurs de l’horloge moléculaire, même
si chacun possède souvent plusieurs
sous-types aux fonctions légèrement différentes.
Les deux ressorts principaux, si l’on peut s’exprimer
ainsi, sont des gènes appelés Per et Cry.
Ceux-ci ne peuvent toutefois
être actifs que si une région précise de leurs
séquences d’ADN (appelée « E-box
element » en anglais) reçoit la visite de deux
protéines. Ces deux protéines liées l’une à l’autre
(on dit aussi qu'elles forment un complexe) sont la protéine
CLOCK et la protéine BMAL1. Leur fixation sur le « E-box
element »
des gènes Per et Cry permet donc la transcription
en ARN messager (ou ARNm) de ces gènes. Contrairement
à l’ADN des gènes, l’ARNm
peut sortir du noyau par les pores nucléaires et se rendre
dans le cytoplasme où il sera traduit en protéine
par les ribosomes.
La protéine PER, résultat de la traduction de l’ARNm
du gène Per, se dégrade rapidement à moins
qu’elle forme elle aussi un complexe. Ce complexe peut être
constitué de protéines PER, ou bien de protéines
PER et de protéines CRY. Ces complexes vont ensuite pénétrer
dans le noyau de la cellule et interagir avec les complexes CLOCK
/ BMAL1 de manière à les rendre inactifs. C’est
ainsi que se crée la boucle de rétroaction négative,
les protéines PER et CRY, produit des gènes du même
nom, venant inhiber leur propre production.
Au bout d’un certain temps, les complexes
de protéines
PER et CRY se dégradent et sont remplacés par d’autres
complexes ayant pénétré
dans le noyau. Mais éventuellement, il n’y aura plus
assez de complexes disponibles pour bloquer l’activation
des gènes Per et Cry parce qu’il n’y
a justement plus de protéines PER et CRY de produites. L’inhibition
sur CLOCK / BMAL1 sera alors levée, et la transcription
des ARNm de Per et Cry reprendra. Environ 24 heures
se seront alors écoulées depuis le début du
processus.
Source : Howard
Hughes Medical Institute
Notre horloge biologique est d’une
grande régularité, avec un niveau de précision
de l’ordre de 1%. Mais comme une montre qui n'est jamais
d'une précision parfaite, il doit y avoir un mécanisme
pour empêcher chaque cellule d’accumuler ces petites
erreurs. Autrement dit, notre horloge biologique doit pouvoir se
synchroniser avec des indices externes lui indiquant le début
d’un nouveau jour. Et comme l’intensité lumineuse
est l’indice premier permettant de déterminer le moment
de la journée, ce sont des
photopigments spéciaux de la rétine qui détectent
ces fluctuations d’intensité
lumineuse et transmettent
ce message à notre horloge biologique.
La protéine
caséine kinase 1 epsilon, qui est chez
les mammifères l’équivalent de la protéine doubletime chez
la mouche drosophile, joue un triple rôle dans l’horloge
moléculaire. Premièrement c’est elle
qui, en phosphorylant les protéines PER produites
dans le cytoplasme, les rend moins stables et accélère
leur dégradation. Deuxièmement, la protéine
caséine kinase 1 epsilon aide les complexes PER
/ CRY et PER / PER à pénétrer dans
le noyau de la cellule. Et troisièmement, elle se
retrouve à
l’intérieur du noyau où elle est impliquée
dans la dégradation du complexe inhibiteur formé
par les complexes PER / CRY et PER / PER.
Considérant ce triple rôle,
on comprend mieux pourquoi une mutation affectant un seul
acide aminé de la protéine caséine kinase
1 epsilon peut raccourcir significativement le rythme circadien.
C’est le cas de la mutation tau chez le hamster,
la première mutation affectant le rythme circadien
découverte chez les mammifères en 1988 par
Martin Ralph et Michael Menaker.
Chez les animaux où la mutation tau est
homozygote, c’est-à-dire que les deux gènes
de la protéine caséine kinase 1 epsilon ont
la mutation tau, ceux-ci vivent selon des cycles
de 20 heures plutôt que 24 (des cycles de 22 heures
s’observent chez les hamster hétérozygotes
ne possédant qu’un seul de leurs deux gènes
muté). Des mutations similaires sur la protéine
caséine kinase 1 epsilon produisent également
chez l'humain des rythmes circadiens plus courts.
La mutation rendant la protéine
caséine kinase 1 epsilon moins efficace pour phosphoryler
les protéines PER, celles-ci s’accumulent plus
rapidement dans le cytoplasme, rentrent plus vite dans le
noyau et inhibent plus rapidement la production de leur propre
gène. Le résultat global est donc un cycle
plus court pour les hamsters mutants que pour les normaux.
Des résultats récents
révéleraient toutefois d'autres mécanismes
beaucoup plus complexes.