On sait maintenant que le cerveau
comprend plusieurs
types de mémoires. L'hippocampe et le cortex rendent possible une mémoire
consciente explicite. De son côté, l'amygdale permet l'une
des formes de nos mémoires implicites, la mémoire émotionnelle
reliée à la peur.
Différents aspects
reliés à une situation particulièrement émotive comme
un accident seront donc pris en charge à la fois par l'hippocampe et l'amygdale,
les deux systèmes fonctionnant en parallèle. Grâce à
l'hippocampe, vous vous souviendrez avec qui vous étiez, ce que vous avez
fait, et le fait que c'était une situation particulièrement pénible.
Toutefois, c'est par l'entremise de l'amygdale que le rappel de l'événement
vous rendra les mains moites, augmentera votre fréquence cardiaque et feront
se tendre vos muscles.
L'AMYGDALE ET SES ALLIÉS
L'amygdale est une structure
cérébrale essentielle au décodage des émotions, et
en particulier des stimulus menaçant pour l'organisme. En effet, l'évolution
a regroupé plusieurs
circuits du système d'alarme de notre organisme dans l'amygdale.
Mais il y a plusieurs autres régions
du cerveau qui envoient leurs axones à l'amygdale, comme l'hypothalamus,
le septum et la formation réticulée du tronc cérébral,
par exemple.
L'hippocampe
est aussi spécialisé dans le traitement non pas d'un seul stimulus
mais d'une collection de stimuli, ou si l'on veut du contexte d'une situation.
Or c'est à cause de l'hippocampe et de ses liens étroits avec l'amygdale
que tout le contexte associé à un événement traumatisant
peut devenir une source d'anxiété.
Des connexions importantes à l'amygdale
proviennent aussi du cortex préfrontal médial. Elles seraient
impliquées dans le
processus d'extinction de la peur conditionnée.
Le
cortex préfrontal serait également impliqué dans la dernière
phase de la confrontation à un danger, celle où après la
réaction émotive automatique initiale, nous devons réagir
et choisir l'action la plus efficace pour se soustraire au danger. D'ailleurs,
chez les personnes au cortex frontal endommagé (le " syndrome frontal
"), la planification de la moindre tâche est très difficile,
voire impossible.
La planification volontaire d'une
réponse émotionnelle adaptée à la situation que permet
nos structures mentales supérieures est donc un merveilleux complément
à notre
système de réponses rapides et automatiques. Les connexions
du cortex préfrontal à l'amygdale permettent aussi d'exercer un
certain contrôle conscient sur notre anxiété. Toutefois, cette
faculté peut en même temps créer de l'anxiété
en imaginant l'échec d'un scénario donné ou même la
présence de dangers inexistants.
Vous marchez sur la rue et une personne
mal intentionnée se rue sur vous et vous agresse. Quelques jours plus tard,
une personne se met à courir en votre direction sur le trottoir et votre
cur s'emballe soudainement. Vous vous calmez lorsque la personne passe à
côté de vous sans vous toucher en essayant de rattraper son autobus
Encore quelques semaines plus tard vous repassez
sur le lieu de la vraie agression et vous vous sentez mal. Cette fois-ci personne
ne court vers vous. Le stimulus conditionné n'est pas présent, mais
la situation révèle un phénomène courant : celui où
certains éléments du contexte ont été aussi conditionnés
par l'événement traumatique. Ce phénomène implique
la participation de l'hippocampe.
Le câblage de notre système d'alarme
naturel permet d'apprécier l'utilité des réactions automatiques
évoquées par la peur du point de vue de l'évolution.
Un petit rongeur qui aperçoit un prédateur va par exemple figer
sur place automatiquement. Cette réaction automatique est très précieuse
car elle se fait rapidement sans nécessiter de commande volontaire. L'immobilité
du rongeur couplé à son camouflage naturel, le soustrait généralement
à l'attention du prédateur et lui permet de fuir dès qu'il
a le dos tourné. Les rongeurs qui étaient moins "peureux"
et ne figeaient pas ainsi sur place ont attiré plus vite l'attention du
prédateur et n'ont pas laissé beaucoup de descendants, aussi "courageux"
fussent-ils
Si l'on enlève chirurgicalement le cortex
auditif d'un rat qui a subit une peur conditionnée avec un certain son,
l'animal ne peut plus discriminer ce son. Un humain avec des dommages équivalents
se qualifierait de sourd. Or le rat, remis de son opération et visiblement
sourd, montre des réactions de peur lorsqu'on émet le son en sa
présence. Le son semble donc être enregistré quand même
au niveau du thalamus et de l'amygdale, ce qui est suffisant pour provoquer la
réaction de peur.
LES DEUX ROUTES DE LA PEUR
L'information en provenance
d'un stimulus externe atteint l'amygdale de deux façons différentes
: par une route courte, rapide mais imprécise, directement du thalamus,
et par une route longue, lente mais précise, celle qui passe par
le cortex.
C'est la route courte, plus directe,
qui nous permet de commencer à nous préparer à un danger
potentiel avant même de savoir exactement ce dont il s'agit. Ces précieuses
fractions de secondes peuvent, dans certaines situations, faire la différence
pour notre survie.
Prenons
un exemple. Imaginez que vous marchez dans la forêt et que vous entrevoyez
une forme allongée enroulée sur elle-même à vos pieds.
Cette forme, qui évoque celui d'un serpent, va très rapidement grâce
à la route courte mettre en branle les réactions physiologiques
de peur qui sont très utile pour s'activer face au danger. Mais ce stimulus
visuel va aussi, après son relais au thalamus, parvenir au cortex. Celui-ci,
grâce à sa faculté de discrimination, va se rendre compte
quelques fractions de seconde plus tard que ce que vous aviez pris pour un serpent
n'était au fond qu'un bout de vieux boyau d'arrosage. Votre cur va
alors cesser de s'emballer et vous allez en être quitte pour une petite
frousse.
Si le cortex avait toutefois
confirmé la présence d'un serpent, vous n'auriez probablement pas
simplement sursauté mais déguerpi avec toute la vigueur que les
modifications physiologiques enclenchées par l'amygdale permettent.
La
voie rapide du thalamus à l'amygdale ne prend donc pas de chance et nous
alerte de tout ce qui semble représenter un danger. Le cortex corrige par
la suite en apaisant les réponses qui s'avèrent inappropriées.
On voit ainsi pourquoi, dans une perspective évolutive, ces deux voies
complémentaires ont pu se mettre en place. Les conséquences de prendre
un boyau d'arrosage pour un serpent sont moindres, du point de vue de la survie,
que de prendre un serpent pour un simple boyau d'arrosage.
Mais
le cortex n'est pas le seul à venir ajouter son grain de sel en précisant
la nature de l'objet. L'hippocampe peut aussi intervenir en
nous renseignant sur le contexte.
Avec le protocole de
peur conditionnée, on peut apprendre à un animal à être
effrayé à l'écoute d'un son particulier, mais pas à
un autre légèrement différent. Or si on détruit le
cortex auditif de ces animaux, ils deviennent aussi effrayés au son différent
!
Ceci s'explique à la lumière d'expériences
d'électrophysiologie qui ont montré, par des enregistrements dans
les neurones thalamiques et corticaux, que ces derniers ne répondaient
qu'à des registres sonores très étroits, alors que les neurones
thalamiques s'activaient avec une gamme de tonalités très large.
Par conséquent, lorsque deux sons similaires sont utilisés pour
conditionner une peur et qu'on enlève la possibilité de discrimination
fine en enlevant le cortex, la réponse de peur qui est sous contrôle
thalamique se fera indistinctement pour les deux stimuli sonores.