Capsule outil: Les questions éthiques soulevées par l’effet placebo

La puissance démontrée de l’effet placebo dans certains domaines et les bases de son efficacité qui reposent sur la tromperie soulèvent des questions éthiques intéressantes. Le médecin se retrouve en effet en face de deux impératifs déontologiques qui, dans le cas de l’effet placebo, s’opposent : dire la vérité au patient et le soulager de sa souffrance.

En d’autres termes, est-il acceptable pour un médecin de prescrire un placebo à un patient sans lui dire que c’en est un afin d’en préserver l’efficacité éventuelle ? Il a en effet été démontré que lorsque le sujet d'une étude clinique est prévenu qu'il risque de recevoir un placebo, l'effet placebo s'amenuise considérablement.

Certains médecins pensent que rien ne justifie de mentir au patient. Pour eux, utiliser un placebo à l'insu du patient peut saper sa confiance et compromettre la relation médecin-patient. Ils évoquent aussi le danger d'administrer un placebo par exemple à une personne dépressive qui pourrait peut-être se suicider si elle ne reçoit pas de traitement efficace. Bref selon cette position, qui est souvent celle des organismes qui encadrent la recherche médicale, une étude où certains patients ne reçoivent qu’un placebo n'est acceptable que s'il s'agit d'une maladie bénigne dont on veut réduire la durée ou les symptômes ou d'une maladie grave contre laquelle aucun traitement efficace n'est encore connu.

À l’autre bout du spectre il y a des thérapeutes, souvent adeptes des médecines alternatives, qui ne sont pas vraiment intéressés à savoir si le traitement offert au patient a réellement un effet spécifique ou s’il n’est qu’un placebo. Leur position est que dans la mesure où le patient va mieux, il importe peu de savoir si la thérapie qu’il a suivie était réelle ou si ce n’était qu’un placebo.

Ce à quoi leurs détracteurs rétorquent que c’est au contraire important de le savoir, car un patient peut souvent aller un peu mieux, sans toutefois être complètement rétabli. Et donc, la recherche d’un traitement avéré pour son mal ne doit pas être abandonnée trop hâtivement. Sans parler des nombreux changements de mode de vie qui peuvent être conseillés au niveau de la diète, de l’exercice, de la perte de poids ou de la diminution du stress qui peuvent s’avérer autrement plus efficaces et fiables qu’un placebo.

Et puis il y a toutes sortes de positions intermédiaires. Ainsi, certains médecins pensent qu’il peut être justifié de prescrire un placebo pour des affections reconnues comme étant très sensibles à l’effet placebo et où la détresse du patient est un facteur aggravant important. Ou encore si le médecin explique au patient qu'il pourrait mieux comprendre son affection s'il essaie différents médicaments, incluant un placebo.

C’est cette position, où le cas par cas est pris en compte, qui est ressortie d’une étude publiée en 2008 dans le British Medical Journal (voir le lien ci-bas). Près de la moitié des médecins américains en rhumatologie et en médecine interne ayant répondu à un sondage affirmait prescrire des traitements placebos (inactifs) sur une base régulière. Et 62% considérait que cette pratique était éthiquement acceptable.

Les placebos les plus couramment prescrits étaient des antidouleurs vendus sans prescriptions (41%) ou des vitamines (38%). Certains rapportaient utiliser des antibiotiques (13%) et des sédatifs (13%). Seulement 3% rapportaient utiliser des pilules de sucre.

Parmi ceux qui prescrivaient des placebos, 68% les présentaient aux patients comme étant des "traitements potentiellement bénéfiques bien que généralement pas utilisés pour leur affection".

L’étude concluait que la prescription de placebos était une pratique courante au sein de la communauté de médecins sondés, malgré les conséquences néfastes pour la santé individuelle et publique que peuvent avoir par exemple des prescriptions inadéquates d’antibiotiques (en terme de développement de souches résistantes). Ces résultats, on s’en doute, ont suscité de nombreux débats.

Certains ont soutenu que les hauts taux de prescription de placebo révélés dans l’étude s’expliquaient par la définition plutôt large donnée par les auteurs aux placebos. Aller simplement dans le sens d’un patient qui veut un antidouleur sans prescription en lui disant qu’effectivement cela peut améliorer l’état de certaines personnes, cela est assez différent de prescrire une pilule de sucre en indiquant faussement au patient que c’est la meilleure molécule disponible sur le marché pour traiter son affection.

D’autres ont critiqué la conclusion de l’étude, souvent citée de manière sensationnaliste par les médias, à savoir que « la moitié des médecins prescrivent de façon routinière des placebos ». Mais les données de l’étude montrent que la moitié des médecins recommandent de tels traitements 2 à 3 fois par mois. Considérant le fait que les médecins peuvent voir autour de 400 patients par mois, l’expression « de façon routinière » peut alors sembler pour le moins exagérée, selon ces critiques.

Au-delà du débat qu’a suscité cette étude, la communauté médicale s’entend généralement au moins sur deux choses. Donner un placebo pour se débarrasser d’un patient difficile sert plus à accommoder le médecin qu'à promouvoir le bien-être du patient. Mais à l’opposé, ne pas exploiter l’effet placebo inhérent à toute interaction médicale bienveillante, explicative et basée sur la confiance mutuelle est de la toute aussi mauvaise médecine…

Lien : Des placebos prescrits par la moitié des médecins américainsLien : Prescribing "placebo treatments": results of national survey of US internists and rheumatologistsLien : Rapid Responses to: Prescribing "placebo treatments": results of national survey of US internists and rheumatologistsLien : The Placebo PrescriptionLien : Overt versus covert treatment for pain, anxiety, and Parkinson's disease

 


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