Capsule expérience: Quelle conscience pour les autres animaux ?

La conscience telle que nous l'expérimentons nécessite un cortex suffisamment développé pour permettre l'association de plusieurs éléments (information sensorielle, mémoire d'expériences passées, une conception de soi comme étant un sujet autonome, etc). D'autres primates, et peut-être même d'autres mammifères pourraient dans ces conditions avoir une certaine forme de conscience, même si elle sera forcément très différente des humains qui maîtrisent le langage parlé.

Car sous certains aspects généraux, notre cerveau est très semblable à celui des autres mammifères qui possèdent par exemple un thalamus et un cortex, deux structures fortement impliquées dans les processus conscients. En fait, l'organisation générale du cerveau, des rongeurs jusqu'à l'humain, est demeuré la même. On peut même affirmer que depuis l'apparition du cortex chez les tortues, aucune nouvelle structure ne s'est ajoutée. Seul le volume des structures existantes a changé, la surface du cortex s'étant par exemple accrue au cours de l'évolution.

Et dans le cas du cerveau humain, cette croissance corticale amène des attributs uniques (qu'il partage toutefois en partie avec les autres grands singes), comme son cortex préfrontal très développé et, ce qui est révélateur, très impliqué dans la mémoire de travail (associée de près à la conscience dans le modèle d'espace de travail global). Certains pensent aussi que l'avènement du langage, unique à l'espèce humaine, pourrait avoir été une condition sine qua non à l'apparition de la conscience.

Bref, la conscience humaine est ce qu'elle est parce que le cerveau humain est ce qu'il est. Mais d'autres animaux pourraient aussi être conscient à leur façon, grâce à la structure particulière du cerveau qu'ils ont. Et d'autres ne sont probablement pas conscient du tout, toujours à cause de la structure trop simple de leur système nerveux.

Les nombreux travaux qui tentent de préciser quelle forme d'activité neuronale et quelles structures du cerveau humain sont nécessaires pour avoir une perception consciente nous renseignent donc inévitablement sur le degré de conscience de différents animaux, étant donné la structure plus ou moins similaire de leur cerveau avec le cerveau humain.

Ceci dit, la conscience n'est pas le prérequis de la pensée ou du raisonnement. Un animal peut résoudre bien des problèmes sans être conscient de ce qu'il fait ou de pourquoi il le fait. Bien entendu, la conscience élève la pensée à un niveau supérieur, mais elle n'est pas la même chose que le raisonnement ou la pensée.

Un des dangers d'essayer d'ordonner les animaux selon un gradient d'intelligence est de baser notre idée de l'intelligence sur les compétences particulières de notre espèce et ne pas apprécier d'autres types d'intelligence, comme celui des abeilles, des pieuvres ou des éléphants. Des chimpanzés peuvent empiler des boîtes pour atteindre une banane suspendue, mais certains oiseaux de la famille des mainates peuvent courber une broche pour en faire un outil afin de récupérer de la nourriture dans un cylindre étroit. Lequel est le plus intelligent, ou le plus conscient ?

Une chose est certaines aujourd'hui pour la majorité des scientifiques, c'est que l'être humain n'est pas l'unique dépositaire de la conscience. Mais quelle forme prend-elle chez les autres animaux, voilà la question !

La capacité d'être conscient de ses propres sensations ou de se souvenir d'avoir fait quelque chose est un niveau de conscience certainement présent chez de très nombreux animaux, pense par exemple le neurophysiologiste Wolf Singer. Pour lui, les animaux savent associer des souvenirs à un stimulus présent, c'est-à-dire qu'ils sont capables de faire ressortir la trace mnésique et l'introduire à la conscience afin de pouvoir la relier à la situation actuelle.

D'autres attirent l'attention sur le fait que chez tous les mammifères, le fait d'être alerte, attentif et d'avoir une forme de conscience sensorielle est nécessaire pour les comportements orientés vers un but qui sont, pour ces animaux, essentiels à leur survie et à leur reproduction. De plus, l'activité électrique du cerveau chez les mammifères alertes montre de très grandes similarités avec celle du cerveau humain dans la même situation.

Plusieurs neurobiologistes suggèrent que cette conscience sensorielle serait apparue avec les premiers mammifères ou les reptiles de transition (appelés thérapsides) qui, les premiers, montrent des complexes thalamo-corticaux importants. Certains vont même jusqu'à dire qu'une forme d'imagerie spontanée pourrait avoir vu le jour bien avant, comme lorsque le cri d'un prédateur évoque son image. Quant à l'état de rêve riche en imagerie visuelle, on s'entend pour dire qu'il est apparu avec les premiers mammifères.
Pour la philosophe Joëlle Proust, "Il y a des analogies suffisantes pour nous laisser penser qu'il existe une forme de conscience phénoménale (c'est-à-dire des impressions qualitatives sensorielles) chez [les mammifères non humains]. Toutefois, cette conscience n'est peut-être pas associée à une capacité de se situer soi-même comme le sujet qui réceptionne cette expérience. Cette conscience de soi, peut-être ne l'ont-ils pas au même niveau que nous?"

C'est donc sur la présence ou l'absence de cette conscience de soi chez d'autres animaux que porte bien davantage le débat. Quels animaux sont " conscients d'eux-mêmes " ? Ont-ils un " sentiment d'être soi " comme le nôtre, c'est-à-dire qui nous donne l'impression d'être un sujet conscient qui observe le monde. Comme ils ne peuvent pas nous le dire avec des mots, des tests indirects ont été conçus pour nous donner des indices sur leur vie intérieure.


Le test du miroir

Le plus connu et le plus simple de ces tests est sans doute le " test du miroir ". On a l'a d'abord fait passer aux enfants pour voir à partir de quel âge ils semblaient se reconnaître eux-mêmes. On dessine d'abord une tache de couleur sur le front de l'enfant à son insu. On met ensuite simplement l'enfant devant un miroir. Les moins de 18 mois touchent le miroir ou essaient de voir qui se cache derrière. Mais à partir de18 mois à 2 ans, l'enfant va porter la main sur son front à l'endroit de la tache, ce qui porte à croire qu'il a acquis à ce moment-là une véritable conscience de lui-même, à la fois de son corps et de son identité psychologique.

Les oiseaux et les poissons à qui l'on a fait passé le test du miroir continuent de traiter leur image comme s'il s'agissait d'un rival. Les chiens et les chats ne passent pas non plus le test du miroir.

Chez les grands singes, les résultats sont plus intéressants. Devant un miroir, les chimpanzés vont d'abord inspecter des parties de leur corps qui leur sont normalement inaccessibles, comme l'intérieur de leur bouche par exemple. S'ils ont une marque sur leur front dessinée à leur insu, les chimpanzés touchent cette marque beaucoup plus que le reste de leur visage en se regardant dans le miroir. Comme les chimpanzés, les orang-outans et bonobos " passent le test " du miroir. Mais pas les gorilles (sauf Koko, un gorille élevé en captivité).

En 2006, on a fait passer à 3 éléphantes du zoo du Bronx, à New York, le test du miroir. Devant l'immense miroir qui avait été placé dans leur cage, deux des éléphantes ont d'abord cherché à passer leur trompe derrière le miroir. Mais, rapidement, les trois se sont elles aussi mises à explorer des parties de leur corps qu'elles ne peuvent voir d'ordinaire, comme l'intérieur de la bouche.

Avec une croix blanche peinte sur leur front à leur insu, l'une d'elles a touché de nombreuses fois la marque avec sa trompe. En réussissant ainsi le " test du miroir ", l'éléphant est venu allonger ainsi la liste des espèces capables " d'autoreconnaissance ", comprenant déjà l'homme (à partir de 18 mois), les singes anthropoïdes (chimpanzé, bonobo, orang-outan), le dauphin et l'orque.

Mais est-ce que la reconnaissance de soi est nécessairement le signe d'une réelle conscience de soi ? La question est encore grandement débattue, en particulier en ce qui concerne les grands singes. Car si le test du miroir permet de révéler une certaine capacité de représentations de soi, rien ne prouve que l'animal qui réussit le test est capable de s'envisager de l'extérieur. Peut-être voit-il son reflet comme une simple continuité de son corps ? D'autres critiquent ce test parce qu'il désavantagerait plusieurs espèces, notamment de plus petits primates, pour qui regarder un autre congénère dans les yeux signifie une menace. Même chose pour les mammifères aquatiques (dauphins, baleines) qui ne peuvent toucher les marques et ce qui rend le passage du test plus difficile pour eux.


Le test de la fausse croyance

Un autre test qui peut donner une idée du niveau de conscience atteint par les autres espèces animale est celui de la fausse croyance (" false-belief test ", en anglais). Les enfants humains réussissent ce test vers trois ou quatre ans, mais pas avant.

Le test se déroule comme suit. Le sujet voit un individu A mettre un bonbon dans un panier, puis sortir de la pièce. Un autre individu, B, arrive ensuite, prend le bonbon dans le panier et le cache dans un tiroir à côté, puis sort. L'individu A revient dans la pièce. La question posée au sujet est alors : " Où va regarder A pour trouver son bonbon ? ".

Avant environ 3 ans et demi, les enfants disent dans le tiroir, parce qu'ils n'ont pas encore la capacité de comprendre que A peut se représenter le monde différemment qu'il l'est pour eux. Mais autour de 4 ans, tous finissent par répondre " dans le panier " parce qu'ils ont maintenant la capacité d'attribuer cette fausse croyance à A.

De tous les animaux, seuls les chimpanzés semblent, dans certaines variantes de ce test, avoir un certain succès, mais aussi des échecs dans d'autres variantes. Le primatologue Daniel Povinelli a par exemple conçu une expérience où les chimpanzés quémandaient tout autant la banane que tenait un expérimentateur qui avait un sceau sur la tête (et donc ne pouvait pas les voir) que celle tenu par un autre qui pouvait les voir. Les chimpanzés ne semblaient donc pas capables de comprendre que l'expérimentateur qui pouvait les voir avait plus de chance d'acquiescer à leur requête que l'autre. Une distinction qu'un enfant humain peut faire avant l'âge de trois ans.

Mais les chimpanzés ne pouvant parler, il est très difficile de trancher. D'où la controverse qui fait rage depuis de nombreuses années quant à savoir si les chimpanzés peuvent réellement avoir une " théorie de l'esprit " de leurs congénères. Autrement dit, un chimpanzé peut-il savoir qu'un congénère a des intentions, des croyances, etc., et que celles-ci peuvent être fausses ou différentes des siennes ? Certains pensent que les succès observés pourraient s'expliquer autrement, par l'apprentissage par exemple, ou qu'ils seraient au fond spécifique à certains contextes, la compétition pour la nourriture en l'occurrence.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier non plus que de nombreux cas de tromperie, et donc de manipulation des croyances des autres, ont été observés non seulement chez les grands singes, mais aussi chez d'autres espèces de primates comme les macaques (distraire l'attention pour subtiliser de la nourriture, par exemple).

Et même si un consensus finirait par s'imposer sur la question de la " théorie de l'esprit " chez le chimpanzé ou d'autres primates, resterait la difficile question du lien entre le fait d'avoir une " théorie de l'esprit " et d'avoir une conscience de soi.

Finalement, la plus grande distinction entre les humains et les autres animaux est que nous avons le langage et pas eux. Les nombreux primates à qui l'on a tenté d'apprendre différentes formes de langage comme le langage des signes des personnes sourdes n'ont pas atteint une souplesse comparable à la nôtre dans l'utilisation de ce langage, c'est le moins qu'on puisse dire (voir la capsule expérience ci-bas).

Certains pensent que sans langage, il ne peut y avoir de concept de soi, et donc qu'aucun autre animal ne peut avoir une conscience de soi similaire à la nôtre. Il y a aussi ceux qui pensent que le langage crée chez l'humain l'illusion d'un soi narratif, phénomène qui est forcément absent chez les autres animaux.

De l'autre côté, vous avez ceux qui disent que le langage ne fait pas une grande différence pour ce qui est de la conscience, que le cœur des processus conscients réside dans l'attention visuelle ou auditive, dans la pensée, les émotions ou les phénomènes douloureux. Dans ce cas, la ligne de démarcation des phénomènes conscients entre les humains et les autres animaux pourrait être beaucoup plus floue.

S'il est par exemple difficile d'attribuer une conscience de soi aux chats ou aux chiens, il semble pour le moins naturel de leur reconnaître une forme de conscience sensorielle puisqu'ils sont visuellement conscients de leur environnement, attentif aux bruits ou sujet à la douleur.

 Lien: Y a-t-il des "cultures" animales?Lien :  La conscience est le propre de l'hommeLien :  Lectures de pensée animale 

Lien: Are animals self-aware?Lien: Can Animals Empathize? YesLien: Can Animals Empathize? Maybe NotLien: Criteria for consciousness in humans and other mammalsLien: On the difficulty of distinguishing between conscious brain functions in humans and other mammals, using objective measures. Lien: Les tentatives d'apprendre un langage aux primates Lien: Animal Consciousness: What Matters and Why

Lien: Animal consciousnessLien: Theory of mindLien: Two reasons to abandon the false belief task as a test of theory of mindLien: Modelling Common-Sense Psychology and the False Belief TestLien: Chimpanzee Theory of Mind: A Proposal from the ArmchairLien: Two Experimental Variations On the Standard False Belief Task  

 


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