Pour Piaget, la pensée humaine
prend son origine dans le développement des capacités
motrices. Ce n'est donc pas seulement la perception mais bien l'action
et les transformations que l'enfant peut opérer sur le monde qui lui permettent
d'acquérir ses premières connaissances.
Par exemple, à
partir de l'âge de 2-3 mois, plusieurs régions du cortex et du cervelet
deviennent fonctionnelles. Des progrès concomitants dans la posture,
le mouvement des yeux
et la capacité d'atteindre et de prendre des objets apparaissent alors.
Entre 6 et 12 mois s'effectue ensuite la maturation du cortex
frontal et l'apparition progressive de la capacité à
planifier, à contrôler et à inhiber ses propres comportements.
On appelle «théorie de l'esprit
» cette capacité de pouvoir se représenter ce que pensent
les autres, prédire leur comportement, leurs intentions, imaginer qu'ils
ont tels ou tels préoccupations, croyances, etc.
Dès l'âge
de 3-4 ans, c’est-à-dire en pleine acquisition des structures de
son langage, l'enfant développe cette capacité. A cet âge,
les enfants sont capables d'inférer la réaction d'une personne face
à une situation en s'imaginant à sa place, ce qui constitue les
prémisses de l'empathie.
LE DÉVELOPPEMENT COGNITIF SELON PIAGET
Comment se développent
les connaissances humaines ? Voilà la question à laquelle le psychologue
suisse Jean Piaget a consacré toute sa vie. Ses travaux, étalés
sur près de soixante ans, ont
jeté les bases du vaste champ de recherche de l’épistémologie
génétique qui cherche à comprendre comment évoluent
nos modes de pensée tout au long de notre vie.
Formé en
biologie et en philosophie, Piaget s’inspire des concepts de ces deux disciplines
pour étudier le développement des jeunes enfants, terrain idéal
pour observer une pensée se constituer. Il en arrive ainsi très
tôt à la conclusion que le développement cognitif est le fruit
d’interactions complexes entre la
maturation du système nerveux et du langage, et que cette maturation
dépend des interactions sociales et physiques avec le monde qui nous entoure.
Pour Piaget, c’est en agissant sur son environnement que l'enfant
construit ses premiers raisonnements. Ces structures cognitives
(Piaget parle aussi de schèmes de pensée), au départ
complètement différentes de ceux de l’adulte, s'intériorisent
progressivement pour devenir de plus en plus abstraites.
La théorie
piagétienne du développement distingue quatre structures cognitives
primaires qui correspondent à autant de stades de développement,
lesquels se
subdivisent ensuite en périodes distinctes où émergent
des capacités cognitives particulières.
Le
premier stade, qui s’étend de la naissance à environ 2 ans,
est le stade sensorimoteur. Durant cette période, le contact
qu’entretient l’enfant avec le monde qui l’entoure dépend
entièrement des mouvements qu’il fait et des sensations qu’il
éprouve. Chaque nouvel objet est brassé, lancé, mis dans
la bouche pour en comprendre progressivement les caractéristiques par essais
et erreurs. C’est au milieu de ce stade, vers la fin de sa première
année, que l’enfant saisit la notion de permanence de l’objet,
c’est-à-dire le fait que les objets continuent d’exister quand
ils sortent de son champ de vision.
Le
deuxième stade est celui de la période pré-opératoire
qui débute vers 2 ans et se termine vers 6 - 7 ans. Durant cette période
qui se caractérise entre autres par l’avènement du langage,
l’enfant devient capable de penser en terme symbolique, de se représenter
des choses à partir de mots ou de symboles. L’enfant saisit aussi
des notions de quantité, d'espace ainsi que la distinction entre passé
et futur. Mais il demeure beaucoup orienté vers le présent et les
situations physiques concrètes, ayant de la difficulté à
manipuler des concepts abstraits. Sa pensée est aussi très égocentrique
en ce sens qu’il assume souvent que les autres voient les situations de
son point de vue à lui.
Entre 6 - 7 ans et 11-12
ans, c’est le stade des opérations concrètes.
Avec l’expérience du monde qui s’accumule
en lui, l’enfant devient capable d’envisager des
événements qui surviennent en dehors de sa propre
vie. Il commence aussi à conceptualiser et à créer
des raisonnements logiques qui nécessitent cependant
encore un rapport direct au concret. Un certain degré
d’abstraction permet aussi d’aborder des disciplines
comme les mathématiques où il devient possible
pour l’enfant de résoudre des problèmes
avec des nombres, de coordonner des opérations dans le
sens de la réversibilité, mais toujours au sujet
de phénomènes observables. Résoudre des
problèmes à plusieurs variables en les décortiquant
de façon systématique demeure exceptionnel à
ce stade.
Finalement,
à partir de 11-12 ans se développe ce que Piaget a appelé
les opérations formelles. Les nouvelles capacités
de ce stade, comme celle de faire des raisonnements hypothético-déductifs
et d’établir des relations abstraites, sont généralement
maîtrisées autour de l’âge de 15 ans. À la fin
de ce stade, l’adolescent peut donc, comme l’adulte, utiliser une
logique formelle et abstraite. Il peut aussi se mettre à réfléchir
sur des probabilités et sur des
questions morales comme la justice.
L’apprentissage
consiste en une adaptation de nos schèmes de pensée à de
nouvelles données du réel. Pour Piaget, cette adaptation peut se
faire de deux façons : par assimilation ou par accommodation.
L’assimilation consiste à interpréter les
nouveaux événements à la lumière des schèmes
de pensée déjà existants. Par exemple un enfant en bas âge
sait comment saisir son hochet préféré avec les doigts d’une
main et le lancer pour qu’il fasse du bruit. Quand il tombe sur un nouvel
objet, comme la fragile montre de son père, il transfère sans problème
ce schéma moteur connu au nouvel objet et l’envoie rebondir sur le
plancher.
L’accommodation est le processus inverse,
c’est-à-dire changer sa structure cognitive pour intégrer
un nouvel objet ou un nouveau phénomène. Si le même enfant
tombe maintenant sur un ballon de plage, il va essayer de le saisir comme il le
fait pour son hochet avec une seule main. Mais très vite, il va se rendre
compte que ça ne fonctionne pas et découvrira éventuellement
comment tenir le ballon entre ses deux mains.
Pour Piaget, on passe constamment
de l’assimilation et l’accommodation durant les processus de compréhension
du monde qui nous entoure. Durant certaines périodes du développement,
l’une des deux peut toutefois être temporairement plus utilisée
que l’autre.
Un exemple d’expérience
controversée faite par Piaget est celle des trois montagnes. L’enfant
doit trouver laquelle des 4 images du haut (voir dessin ci-bas) correspond à
la vue qu’en a Piaget assis de l’autre côté de la table.
Parce que de jeunes enfants ne peuvent pas imaginer le point de vue d’une
personne de l’autre côté de la table, Piaget en concluait que
ces enfants sont incapables d’empathie. Des expériences subséquentes
permettant à des enfants du même âge d’imaginer des situations
dans un contexte social plutôt que spatial ont donné de tout autres
résultats.
AU-DELÀ DU MODÈLE DE PIAGET
Le concept de stades
de développement fixes et séquentiels à travers lesquels
tous les enfants progressent tel que proposé par Piaget a été
l’objet de plusieurs critiques. Ainsi, pour le psychologue russe Lev
Vygotsky, le développement d’un être humain est trop
complexe pour être défini par des stades. Vygotsky, et d’autres
après lui, ont accordé une importance beaucoup plus grande que Piaget
aux influences
sociales et environnementales sur le développement cognitif.
Le développement cognitif de l’être
humain était pour Piaget un processus dont la motivation première
provenait de l’intérieur de l’individu. Sa métaphore
la plus célèbre pour décrire cette idée est celle
de voir l’enfant comme un «petit
scientifique» qui expérimente et explore le monde. Par opposition,
la métaphore qui décrit le mieux la source première du développement
pour Vygotsky est celle de voir l’enfant comme un «petit apprenti»
qui reçoit de ses professeurs l’aide et le soutien nécessaire
dans les situations d’apprentissage. Le développement de la cognition
provient donc plutôt de l’extérieur de l’individu pour
Vygotsky.
Il est certain, en effet, que le développement de l’enfant
humain est affecté par la
culture dans laquelle il grandit, et à plus forte raison par son environnement
familial particulier. Ces influences sociales vont être intériorisées
par l’enfant à travers ses interactions avec les adultes qui le guident
dans ses résolutions de problème.
Car contrairement à ce que Piaget posait
avec ses stades de développement, il existe pour les tenants de l’école
de Vygotsky une différence entre ce que l’enfant peut réaliser
seul et ce qu’il est capable de faire avec l’aide d’un adulte.
Ce phénomène a reçu le nom de « zone de développement
proximal » et traduit la distance qui existe à tout moment entre
les connaissances effectives de l’enfant, et celle qu’il peut acquérir
sous la supervision d’un adulte ou en côtoyant d’autres enfants.
Par conséquent, comme la culture
au sens large qui entoure l’enfant est un facteur déterminant de
son développement, considérer le développement de l’enfant
isolé comme le fait Piaget ne traduit pas adéquatement le processus
par lequel l’enfant acquiert effectivement de nouvelles connaissances.
Le corollaire de ceci est que le langage constitue le moyen par excellence
à la disposition des adultes pour transmettre des connaissances à
l’enfant. À mesure que l’apprentissage progresse, le
langage de l’enfant devient lui-même un outil de connaissance
qu’il intériorise et utilise « dans sa tête » pour
réfléchir sur le monde.
Les principes généraux
de l’œuvre de Piaget demeurent néanmoins des références
de base dans l’élaboration des programmes d’éducation
scolaire. Par exemple, pour favoriser le développement des enfants au stade
sensorimoteur, on privilégiera les environnements riches avec plusieurs
objets stimulants. À l’opposé, pour un enfant au stade des
opérations concrètes, les activités d’apprentissage
devront inclure davantage des problèmes de classification ou de conservation
avec des objets concrets.
Des expériences chez la chouette
qui localise ses proies par l’audition ont montré
que les circuits cérébraux permettant cette localisation auditive
sont façonnés par l’expérience. Si l’on empêche
une chouette d’entendre par exemple durant la période de développement
qui suit l’éclosion, ces circuits ne se formeront pas correctement
et la chouette sera incapable de localiser les sons convenablement.
Chez la souris et le rat, les cartes somesthésiques peuvent
être perturbées par une expérience sensorielle anormale lors
d’une étroite fenêtre temporelle juste après la naissance.
Quant au système olfactif, une exposition aux odeurs maternelles
pendant une durée limitée modifie pour la vie les capacités
de répondre à cette odeur chez les petits de plusieurs espèces.
Un cas rare mais parfaitement documenté
rapporte l’histoire de parents perturbés qui ont élevé
leur fille jusqu’à l’âge de 13 ans dans des conditions
de privation de langage quasi-totale. Malgré des cours de langue ultérieurs
soutenus, elle ne put atteindre plus qu’un niveau de communication rudimentaire.
Ceci ressemble aux mêmes difficultés rencontrées avec les
enfants
sauvages et confirme l’importance de la période critique
pour l’acquisition du langage.
LES PÉRIODES
CRITIQUES
La diversité des
personnalités et des comportements humains est le produit de la singularité
du cerveau de chaque individu. Celle-ci se constitue d’abord à travers
les
premières étapes de la construction des circuits cérébraux,
où des mécanismes intrinsèques mettent en place les circuits
nerveux à l’origine d’une vaste palette de comportements instinctifs,
que ce soit pour trouver de la nourriture, pour se défendre ou pour s’accoupler.
Mais la construction du système nerveux des animaux, et donc aussi
de l’être humain, est également influencée par l’expérience.
Les interactions avec l’environnement produisent certains
patterns d’activité nerveuse qui vont façonner les circuits
cérébraux. Les influences du monde extérieur ont une
importance tout particulière au début de la vie pendant certaines
périodes limitées dans le temps qu’on appelle périodes
critiques.
Les périodes critiques sont un phénomène
général que l’on retrouve dans plusieurs systèmes sensoriels.
Même si les études les plus approfondies ont porté sur le
système visuel des mammifères (voir capsule expérience à
gauche), des périodes critiques ont aussi été mises en évidences
dans le système auditif, olfactif et somesthésique (voir encadré).
Certaines périodes critiques peuvent être très courtes,
comme celle à l’origine du phénomène
de l’empreinte chez les oiseaux, ou plus longue et moins bien délimitées
pour des comportements complexes comme le langage humain.
En effet, contrairement aux cris d’alarme des animaux qui sont innés,
un être humain a besoin d’une expérience post-natale prolongée
pour produire et décoder les sons qui sont à la base de sa langue.
L'apprentissage d'une langue ne peut se faire que si l'enfant est exposé
aux mots de cette langue (voir encadré) et ce, durant une période
limitée de la vie pré-pubertaire. Des conditions d’exposition
ou de privation semblables en dehors de cette période critique plus tard
à l’âge adulte n’auront que peut d’effet sur le
langage.
De plus, la structure phonétique d’une langue particulière
qu’une personne entend durant les premières années de sa vie
va façonner de manière durable sa perception et sa production de
la parole.
Au cours des premiers
mois de leur vie, les nourrissons n’ont pas de prédispositions innées
pour les phonèmes caractéristiques de telle ou telle langue. Ils
peuvent donc percevoir et discriminer tous les sons du langage humain. Mais cette
capacité sera éventuellement perdue. Par exemple, des locuteurs
japonais adultes sont incapables de distinguer avec certitude le son « r
» du son « l » de l’anglais, probablement parce que cette
distinction phonétique est absente du japonais.
En utilisant
comme signe de discrimination une augmentation de la fréquence de succion
ou des détournements de la tête en présence d’un stimulus
nouveau, on a pu établir que des bébés japonais de 4 mois
distinguent le « r » du « l » aussi bien que des bébés
du même âge grandissant dans une famille anglaise. Toutefois, vers
l’âge de 6 mois, les bébés manifestent une préférence
pour les phonèmes de leur langue maternelle. Et à la fin de leur
première année, ils ne répondent plus du tout aux éléments
phonétiques d’une autre langue que la leur.
Le fait que les enfants peuvent apprendre à parler couramment une
deuxième langue sans fautes de grammaire et sans accent jusque vers l’âge
de 7 à 8 ans indique cependant que la capacité à percevoir
des contrastes phonétiques dure davantage que seulement la première
année de vie.