Capsule expérience: Effets de la privation
visuelle durant la période critique du développement de la vision Chez
le chat : David Hubel et Torsten Wiesel ont montré que
si un chaton est privé d’expérience visuelle normale pendant
une période critique au début de sa vie, le câblage des neurones
de son cortex visuel en est irréversiblement altéré. Un seul
des deux yeux d’un chaton fut bouché dès les premiers jours
de sa vie et on le laissa se développer ainsi jusqu’à l’âge
adulte (atteint environ à 6 mois chez le chat) où on lui ouvrit
l’œil à nouveau. Les enregistrements électrophysiologiques
dans son cortex visuel montrèrent un nombre anormalement faible de neurones
réagissaient à cet œil et un nombre anormalement élevé
à l’œil qui était resté ouvert. Au niveau macroscopique,
on a pu également observer que la taille des colonnes de dominances oculaires
de l’œil resté ouvert s’élargit au détriment
de celles de l’œil fermé. Fait remarquable, si l’on
bloque l’œil d’un chat adulte durant un an, les réponses
des cellules du cortex visuel demeurent en tout point identiques à celles
d’un chat normal. Des expériences ultérieures ont montré
que l’occlusion de l’œil n’est efficace que si la privation
a lieu au cours des trois premiers mois de la vie chez le chat.
Chez le primate : D’autres expériences ont montré
que le phénomène était aussi présent chez les primates,
quoique la période critique soit plus longue (jusque vers six mois).
Austin Riesen a élevé des singes dans l’obscurité
durant les 3 à 6 premiers mois de leur vie. Réintroduits par la
suite dans un milieu éclairé, ces animaux avaient de grandes difficultés
à distinguer même des formes très simples. Des semaines et
même des mois leur ont été nécessaires pour apprendre
à distinguer un cercle d’un carré, tâche qu’un
singe normal apprend en quelques jours. Les travaux de Wiesel et Hubel
ont également exploré ce qui se passe au niveau du cortex visuel
primaire lorsqu’on empêche un singe d’utiliser l’un de
ses yeux durant les 6 premiers mois de sa vie en lui suturant la paupière.
Rappelons d’abord que chez le singe, aussi bien que chez le chat ou l’humain,
les deux yeux fonctionnent de concert pour nous faire percevoir une réalité
extérieure unique, bien que celle-ci forme deux images légèrement
décalées sur chacune de nos rétines. Or Wiesel et Hubel ont
montré que c’est seulement à partir du cortex visuel primaire
que commence à s’opérer une fusion de ces deux images, fusion
qui nous amène à voir le monde en trois dimensions. Mais
chez les animaux à paupière suturée, lorsque celle-ci est
détachée au bout de 6 mois, l’animal a pratiquement perdu
toute vision utile par cet œil. Néanmoins, des enregistrements électrophysiologiques
au niveau des cellules ganglionnaires de la rétine et au niveau des cellules
du corps genouillé latéral correspondant à cet œil indiquent
que ces cellules ont des champs visuels normaux et fonctionnels. Mais ce sont
plutôt les cellules du cortex visuel primaire correspondant à l’œil
ayant subi la privation sensorielle qui ne sont pratiquement plus activées
par cet œil. D’autres expériences impliquant la suture temporaire
des deux paupières ont montré que le développement normal
de la connectivité du cortex visuel ne dépendait pas de l’activité
absolue des voies nerveuses en provenance des yeux, mais bien d’une compétition
entre l’activité relative de ces deux voies. Comme pour
d’autres processus de développement impliquant une période
critique, la même opération de suture d’une paupière
chez un animal adulte n’a aucun effet sur la réponse des cellules
corticales correspondant à cet œil ou à l’autre. Alors
que durant le moment le plus sensible de la période critique, la privation
visuelle durant une seule semaine peut avoir des effets catastrophiques sur la
vision durant toute la vie. Chez l’humain :
Chez l’humain, certaines maladies produisent une cataracte, c’est-à-dire
une opacité partielle ou totale du cristallin. Cette cataracte peut toucher
un seul œil ou les deux et peut survenir soit très jeune ou à
l’âge adulte. Or il est maintenant possible d’opérer
ces personnes pour enlever la cataracte. Selon que l’opération a
pu se faire rapidement ou tardivement, on a constaté que le développement
visuel chez l’humain est lui aussi soumis à une période critique
comme chez l’animal. Ces expériences ont démontré
pour la première fois que les influences environnementales précoces,
et donc des patterns particuliers d’activité nerveuse durant une
période critique, se traduisent par une modification définitive
des connexions nerveuses dans certaines régions du cerveau. |