Capsule expérience : Les tentatives
d'apprendre un langage aux primates Au cours des siècles,
théologiens, philosophes et même biologistes ont soutenu que le langage
n'existait que chez l'humain. Les données accumulées sur les modes
de communication sophistiqués d'animaux aussi divers que les abeilles,
les oiseaux, les baleines ou les grands singes ne permettent plus de soutenir
ce point de vue au sens large. Les chimpanzés dans leur habitat
naturel montrent une communication sociale déjà élaborée
fondée sur des gestes, des manipulations d'objet ou des expressions faciales.
De plus, ils ont un système de vocalisation naturel qui semble avoir certaines
composantes référentielles, comme par exemple les cris d'alarme
informant leurs congénères d'un type particulier de danger. En
dépit de tout cela, la communication chez les grands singes n'est pas homologue
à celle des humains et ce, pour deux raisons principales : elle est essentiellement
affective (au lieu d'être cognitive et référentielle comme
pour le langage humain) et contrôlée par des structures sous corticales
(alors que le langage humain est essentiellement cortical). Le langage
humain apparaît toujours unique en son genre du point de vue sémantique,
c'est-à-dire dans sa capacité d'associer des significations particulières
à des symboles arbitraires. Mais comme ces capacités langagières
humaines ont bien dû évoluer à partir de capacités
présentes chez nos ancêtres primates, plusieurs ont cru en une possible
acquisition du langage humain par les primates. Première constatation
: malgré les essais répétés d'élevage de chimpanzé
comme des enfants depuis les années 1940, les petits chimpanzés
n'ont jamais pu parler à cause de leur larynx qui ne lui permet pas de
produire les sons du langage humain. Il semble toutefois qu'ils aient pu apprendre
quelques rudiments de la communication symbolique si on leur donne la possibilité
d'utiliser des symboles portés par des pièces de plastique, ou bien
les gestes du langage des signes, ou encore un écran d'ordinateur et un
clavier de symboles. Avec de tels claviers de symboles et un apprentissage adéquat,
des chimpanzés ont appris à choisir parmi plus de 400 symboles pour
construire des expressions et avoir des conversations rudimentaires avec leur
instructeur. On a même prétendu que les animaux les plus performants
parvenaient à maîtriser un vocabulaire de quelques milliers de mots,
l'équivalent des capacités linguistiques d'un enfant de 3-4 ans.
Le singe bonobo Kanzi utilisait régulièrement 250 symboles
représentant des mots (ou lexigrammes) extraits d'un répertoire
qui en comportait 500. De leur côté, les dauphins peuvent également
échanger des concepts entre eux. Ils sont en mesure d'expliquer une action
à accomplir à un nouveau congénère que l'on a isolé
dans un bassin séparé et de faire la différence entre la
réalité et sa représentation. Parmi les plus célèbres
primates ayant appris la signification de gestes du langage des signes, on retrouve
Washoe, le chimpanzé étudié par Roger Fouts et élevé
par R. Allen et Beatrice Gardner, ainsi que Koko, le gorille entraîné
par Francine Patterson. Mais au-delà de montrer qu'ils peuvent avoir une
bonne mémoire, leur utilisation rudimentaire du langage des signes laisse
perplexe quant à leur capacité de produire différentes combinaisons
de symboles selon des règles grammaticales pour exprimer de nouvelles choses.
La question demeure donc controversée et donne lieu à différentes
interprétations de certaines observations. Entre autres celle d'un chimpanzé
qui, après avoir appris le signe pour désigner l'eau et le signe
pour l'oiseau a utilisé les deux signes ensemble pour signifier oiseau
aquatique en voyant un cygne nager. Ceux qui ne croient pas au langage animal
arguent que le chimpanzé peut très bien avoir fait deux gestes séparés,
l'un pour désigner l'eau et l'autre pour désigner l'oiseau. Ils
ajoutent qu'il est fréquent que ces animaux utilisent des combinaisons
de symboles illogiques ou inintelligibles. Il est donc difficile de dire si une
association comme oiseau aquatique reflète un éclair de lucidité
de langage chez le chimpanzé ou s'il s'agit seulement de coïncidences
mises en évidence par les chercheurs qui croient les chimpanzés
capables d'un certain langage. Le moins qu'on puisse dire en tout
cas, c'est qu'il faut prendre les affirmations de langage chez l'animal avec une
extrême prudence. Les vocalisations utilisées par nos plus proches
parents les chimpanzés pour affirmer leur dominance ou prévenir
le groupe de la présence d'une menace sont très limitées
et utilisées dans des situations très stéréotypées
comparé au langage humain. Aucune donnée ne permet donc actuellement
d'affirmer que la communication chez les singes ou les dauphins se rapproche du
langage humain avec ses possibilités associatives quasi infinies de production
de significations. Une nuance s'impose cependant : le langage n'est pas
une condition de la pensée. Les singes, tout comme les humains élevé
en isolement et n'ayant pas appris le langage, sont capables d'accomplir beaucoup
de choses nécessitant un raisonnement abstrait. De nombreux grands
créateurs humains rapportent d'ailleurs que c'est une forme de pensée
non accompagnée de langage qui leur a amené leurs meilleures idées.
On n'a qu'à penser à Albert Einstein qui affirmait que nombre d'idées
sur la relativité lui étaient venue en s'imaginant à cheval
sur un rayon de lumière, regardant autour de lui des horloges et d'autres
objets. |