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Le sentiment d'être soi |
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Rythmes
cérébraux : osciller pour mieux lier
Les noyaux intralaminaires
du thalamus possède des neurones avec de longs axones qui rejoignent l’ensemble
du cortex. Les neurones du cortex qui reçoivent des projections des noyaux
intralaminaires envoient en retour des projections qui reviennent de toutes les
régions du cortex vers les noyaux intralaminaires, ce qui crée une
boucle de rétroaction possible. Les neurones
des noyaux intralaminaires font feu à environ 40 Hz et Llinas pense que
leur rythmicité est la source du rythme qu’il détecte à
la surface du cortex. À chaque cycle, une onde partirait des noyaux intralaminaires
et diffuserait dans tout le cortex, un peu comme sur l’écran des
anciens radars la ligne de balayage illuminait tous les objets sur son passage
en un cycle. Par ailleurs, si les noyaux intralaminaires
est lésé, la personne tombe dans le
coma (bien que des lésions seulement aux noyaux intralaminaires soient
rares) ce qui appuie son rôle dans les phénomènes conscients.
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Le cerveau a plusieurs états
oscillatoires naturels, qui correspondent à différents états
fonctionnels. Par exemple quand les neurones thalamiques font deux cycles par
seconde, le cerveau est dans un état de sommeil
profond. À 10 cycles par seconde (10 Hz) le cerveau humain est éveillé
mais ne porte pas attention au monde extérieur. Et à 40 Hz, il est
éveillé attentif ou en train de rêver. Du
point de vue du système thalamocortical, les états fonctionnels
généraux présents durant le sommeil paradoxal et l’éveil
sont fondamentalement équivalents même si la façon de traiter
l’information sensorielle et l’information corticale est différente
dans les deux états. Le sommeil paradoxal
peut ainsi être considéré comme un état attentif
modifié dans lequel l’attention est détournée des
entrées sensorielles et tournée vers la mémoire.
En corollaire, l’éveil peut être considéré
comme un état de rêve modulé par les contraintes produites
par des entrées sensorielles spécifiques. La vie éveillée
d’une personne serait alors l’équivalent d’un rêve
guidé par les sens, pour paraphraser Llinas. |
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LES ASSEMBLÉES DE NEURONES ET LA
SYNCHRONISATION D'ACTIVITÉ | | Le problème
de savoir comment on se représente différents objets avec chacun
les caractéristiques qui lui sont propres, le
fameux "binding problem", s'éclaire, du moins en partie,
grâce au phénomène de la
synchronisation neuronale autour de 40 Hz. Mais cela ne nous dit pas comment
la représentation d’un objet donné devient consciente alors
que les autres demeurent inconscientes. Autrement dit, qu’est-ce qui détermine
laquelle des nombreuses assemblées de neurones oscillant à diverses
fréquences (et correspondant à diverses représentations d’objets
différents) va entrer dans l’attention
consciente d’une personne. Durant
les années 1990, Rodolfo Llinas et ses collègues
ont effectué une série d’études détaillées
sur les
interactions thalamocorticales qui leur ont permis de développer une
théorie qui à la fois intègre les données de l’état
conscient de veille et du rêve, s’attaque au problème de liaison,
et fournit un critère pour déterminer quelle représentation
consciente va être sélectionnée à un moment donné.
Le modèle de Llinas, bien que proche
de plusieurs autres, est toutefois unique en ce qu’il propose une solution
originale à cette dernière question. Llinas et ses collaborateurs
ont élaboré leur modèle en utilisant une technique d’imagerie
cérébrale très sensible appelée magnétoencéphalographie
(MEG) (voir capsule outil). Grâce à cet appareil capable de mesurer
indirectement les courants électriques dans le cerveau, Llinas a observé
des oscillations en phase qui parcourent le cortex de sa partie antérieure
à sa partie postérieure. Chacune de ces ondes dure environ 12.5
millisecondes (ms) et est suivi d’un repos de 12.5 ms, pour un temps total
de 25 ms pour un cycle. Ce cycle se produit donc environ 40 fois par seconde et
l’on retrouve donc ici les
oscillations gamma à 40 Hz associées au problème de liaison
des attributs d’un objet.
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Ces oscillations seraient apparemment produites par les noyaux non spécifiques
du thalamus, comme les noyaux intralaminaires (voir encadré
et schéma ci-contre), dont les projections traversent le cortex de l’avant
à l’arrière. Le modèle de Llinas s’appuie
donc sur l’interaction entre deux types d’oscillateurs. D’une
part, ce système de projections thalamiques diffus responsable de l’onde
qui balaie le cortex et fournit 40 fois par seconde un «contexte»
à la perception consciente. Et d'autre part, l’autre
système bien connu qui relie les noyaux thalamiques spécifiques
à ceux des aires corticales spécialisées correspondantes
et qui contribue à la liaison des différents attributs d'un même
objet. Ce sera, par exemple, le corps
genouillé latéral qui reçoit des connexions de la rétine
de l'oeil et projette à son tour à l’aire
visuelle primaire du cortex occipital. | Décrite
sommairement, l’hypothèse de Llinas est que les assemblées
de neurones qui correspondent à un contenu conscients sont celles qui oscillent
en phase non seulement entre elles pour lier ensemble les différentes caractéristiques
d’un objet, mais qui oscillent en plus en phase avec le balayage
oscillatoire non spécifique. Llinas
a pu montrer que la présence de ces cycles est corrélée à
des expériences conscientes cohérentes : elles surviennent continuellement
durant l’éveil
et le rêve mais pas durant le sommeil profond.
| On
observe par exemple une robuste activité neuronale autour de 40 Hz durant
l’éveil, lorsque le sujet s’adonne à une tâche
cognitive quelconque. Durant l’éveil, les deux familles d’oscillateurs
sont donc couplés, et les circuits spécifiques répondent
aux signaux externes. Durant le rêve, ils sont couplés, mais les
noyaux spécifiques ne répondent pratiquement pas aux signaux externes.
Les contenus conscients proviennent de l’interne, des souvenirs emmagasinés
par le cerveau (voir encadré). Finalement dans le sommeil profond, les
deux familles d’oscillateurs sont découplées et il n’y
a pas de contenus conscients. | Certaines
expériences ont aussi démontré qu’un son strident va,
chez l’être humain éveillé, interrompre l’onde
de balayage non spécifique et en repartir une nouvelle, alors que durant
le sommeil paradoxal ce même son va produire une réponse corticale
mais sans remettre à zéro l’onde de balayage. Ceci pourrait
correspondre au fait qu’un tel stimulus va attirer notre attention
consciente quand on est éveillé mais pas quand on est en sommeil
paradoxal (et encore moins durant le sommeil profond où l’onde de
balayage est absente ou considérablement réduite). Dans
une autre série d’expériences, les sujets entendaient une
paire de clics sonores séparés par un intervalle allant de 3 à
30 millisecondes (ms). Les sujets étaient capables de distinguer les deux
clics quand ils étaient séparés de 13 ms ou plus. Avec des
intervalles plus courts, ils percevaient seulement un clic. Les enregistrements
faits durant l’expérience avec le MEG révélaient par
ailleurs que les intervalles plus courts que 12 ms produisaient une seule remise
à zéro du balayage oscillatoire, alors que les plus longs intervalles
en produisaient deux. Ces résultats semblent donc mettre en évidence
un caractère discret plutôt que continu de la conscience, avec la
durée de 12 ms étant le «quantum de la conscience»,
c’est-à-dire l’unité temporelle de base de l’expérience
consciente. L’équivalent
dans un contexte naturel pourrait être par exemple une personne qui marche
sur la rue en réfléchissant. Son cerveau génère alors
des oscillations à environ 40 Hz. Tant que les représentations mentales
s'accordent avec l'environnement extérieur, le cerveau continue de mettre
la scène à jour selon un rythme stable. Mais si un chien menaçant
aboie près de la personne, le cycle de 40 Hz est abruptement remis à
zéro pour incorporer le nouveau stimulus dans l’ensemble de la scène
pour que la nouvelle information puisse être prise en compte. Chaque
onde qui balaie le cortex en 12,5 ms crée ainsi une nouvelle image, mais
ces images s’enchaîneraient si rapidement qu’elles nous semblent
continues, comme
les images fixes d’un film génèrent un mouvement apparemment
fluide lorsqu’elles défilent assez rapidement.
De nombreux modèles neurobiologiques
de la conscience font appel à une forme de compétition entre assemblées
de neurones donnant lieu à des «processus sélectifs»
des contenus conscients. C’est le cas de Crick
et Koch à partir des années 2000, mais aussi d’Edelman,
de Dennett, de Baars, etc. Mais c’est peut-être
le neurophysiologiste William Calvin qui intègre le plus
en profondeur des processus de sélection Darwinien dans son modèle
du fonctionnement cérébral. Son «darwinisme mental»
s’appuie sur le concept de «code cérébral»
qui est l’analogue du code génétique mais pour la reproduction
et la sélection des représentations conscientes. Chacune de nos
pensées devient pour Calvin le pattern d’activité cérébral
dominant du moment, issu d’un processus de sélection entre de nombreuses
autres variantes qui demeurent inconscientes. Le substrat
concret de ce code cérébral, unité de base de nos pensées,
Calvin le voit dans les plus petites assemblées de neurones du cortex qui
compteraient, selon lui, environ 10 000 neurones compris dans une centaine de
microcolonnes. Ces petites assemblées de neurones seraient
de taille similaire aux macrocolonnes de 0,5 mm que l’on retrouve dans le
cortex associatif ou encore aux colonnes
de dominance oculaire du cortex
visuel primaire, quoique peut-être moins déterminées
génétiquement dans leurs connexions. Pour
Calvin, c’est donc les patterns d’activité électrique
de ces colonnes, formant une mosaïque de cellules hexagonales recouvrant
tout le cortex, qui entrent en compétition pour devenir une image mentale
consciente. Et en se copiant pour se répandre dans l’espace cortical,
ce code cérébral introduit des variantes qui peuvent être
à l’origine de comportements mieux adaptés. Cette
conception du cerveau comme un
système évolutif, en plus d’être cohérente
avec le principe de la sélection naturelle, s’harmonise également
très bien avec les concepts
d’assemblées de neurones de Hebb
et de mème de Dawkins. Enfin,
Calvin a aussi élaboré son modèle en constatant que ce à
quoi nous pensons sert toujours, en bout de ligne, à l’action.
Et comme bien d’autres avant lui (Varela,
Llinas, etc.), il résume cet impératif par une formule choc : loin
d’être une combinaison de sensations et de souvenirs, nos pensées
ne seraient, au fond, que des mouvements qui ne sont pas encore actualisés…
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