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Parmi les pionniers
de la chronobiologie deux noms reviennent inlassablement: Colin
Pittendrigh, qui découvrit l'horloge circadienne
chez la drosophile et décrivit les caractéristiques
communes des horloges circadiennes; et Jurgen Aschoff,
qui révéla les mécanismes physiologiques
régulant les rythmes circadiens chez les oiseaux,
les mammifères et l'humain.
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Vers 1860, le physiologiste
français Claude Bernard met en évidence
un grand principe qui gouverne le vivant et qu’il
nomme l’homéostasie. Il la
définit comme la capacité de l'organisme de
maintenir un état de stabilité relative des
différentes composantes de son milieu interne et ce,
malgré les variations constantes de l'environnement
externe.
La chronobiologie est venue montrer à quel
point l’homéostasie était un processus
dynamique, non seulement en réponse aux variations
des facteurs environnementaux externes, mais aussi à cause
des nombreux cycles internes de l’organisme. Certains
auteurs comme Antonio Damasio proposent même d’utiliser
plutôt le terme d’homéodynamique pour
garder à l’esprit qu’il n'y a pas une
mais des homéostasies qui diffèrent selon
le moment de la journée, du mois et même de
l’année. |
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Le champ de recherche
que l’on nomme aujourd’hui la
chronobiologie s’intéresse aux rythmes biologiques
c’est-à-dire à la manière dont notre
organisme génère ses oscillations physiologiques
et garde ses divers systèmes synchronisés. À
partir des premières
constatations de l’existence de cycles plus ou moins longs
dans le corps humain, nos connaissances sur la chronobiologie
se sont rapidement complexifiées.
On s’est ainsi rendu compte que l’alternance du jour
et de la nuit n’est pas la source de nos rythmes circadiens,
mais qu’elle ne fait que synchroniser une véritable
horloge biologique autonome. Cette horloge centrale qui reçoit
la synchronisation de la lumière du jour est située
dans le noyau
suprachiasmatique.
On s’est aussi rendu compte de l’importance du phénomène à travers
la plupart des grands systèmes du corps. Peu importe la
variable physiologique que l’on mesurait, métabolisme
cellulaire, température corporelle ou sécrétion
de nos différentes hormones, tout obéissait à des
cycles avec des maximums et des minimums qui leur sont propres.
Parmi toutes les études qui nous ont permis d’appréhender
les articulations subtiles entre ces différents rythmes,
l’apport des expériences en isolement temporel est
des plus considérables. Plusieurs chercheurs se sont en
effet demandé ce qu’il adviendrait si on isolait complètement
une personne des indices habituels de l’alternance des jours
et des nuits (lumière, bruits, etc.) ? Allait-elle continuer à s’endormir à son
heure habituelle ou bien observerait-on un avancement ou un recul
de son cycle d’activité ?
Ces expériences en isolement temporel ont été effectuées à plusieurs
reprises, les premières fois dans des grottes, endroits à température
constante naturellement isolés de tout. La première
grande confirmation a été que les rythmes circadiens
persistaient malgré l’isolement, ce qui prouvait que
nous avons tous dans le cerveau une « horloge endogène ».
Sauf que ces expériences montraient aussi que cette horloge
n’était pas parfaite et retardait de quelques minutes à chaque
jour. En d’autres termes, notre rythme circadien naturel était
un peu plus long que 24h, soit de 24,2 à 25, 5 heures, selon
les études.
Ça peut sembler petit, mais cela signifie qu’un cycle
de 24,5h transformerait en seulement 3 semaines l’activité
diurne d’un individu en activité nocturne !
Ces expériences d’isolement
temporel, ne datent pas d’hier. Déjà en 1938,
Nathaniel Kleitman et son collègue Bruce Richardson avaient
passé
32 jours sans indices temporels dans une grotte du Kentucky, aux États-Unis.
En 1962, le français Michel Siffre passe quant à lui
2 mois dans un glacier souterrain des Alpes-Maritime en France.
Siffre, qui avait 23 ans lors de cette expérience, allait
par la suite retourner deux autres fois sous terre pour mesurer
l’influence de l’absence de repères temporels
sur ses rythmes biologiques à différents âges.
La troisième fois, en 2000, il était âgé de
61 ans et est resté 73 jours en l’absence de tout
repère temporel (voir encadré ci-bas).
Michel Siffre à la sortie
de son dernier séjour en isolement temporel en 2000. (AFP)
Un des phénomènes les plus
spectaculaires observé
durant ces expériences d’isolement temporel
est le décalage qui s’opère par rapport
au cycle jour/nuit à l’extérieur du laboratoire
ou de la grotte. Mais aussitôt l’expérience
terminée, la personne resynchronise en quelques jours
son cycle d’éveil et de sommeil sur celui du
jour et de la nuit, tel qu’illustré sur le diagramme
ci-bas. Celui-ci montre un enregistrement quotidien du cycle
veille-sommeil d’une personne pendant un mois et demi.
Chaque ligne horizontale est un jour; les traits continus
marquent les phases de sommeil, et les lignes pointillées,
les phases d’éveil. Le triangle représenté
dans chaque cas marque le point de la journée où
la température corporelle était la plus basse.
Lors
de cette expérience, des enregistrements contrôles
ont d’abord
été faits pendant 9 jours dans des conditions
naturelles de variation d’éclairage et de bruits
qui accompagnent la journée. Puis, pendant 25 jours,
tous ces repères ont été
coupés pour laisser la personne évoluer selon
son rythme endogène. Dans ces conditions, le cycle veille-sommeil
se maintient mais a tendance
à s’allonger à environ 25 heures. Après
plusieurs semaines d’isolement, ces cycles peuvent s’allonger
pour atteindre 30 à
36 heures. Le sujet peut par exemple rester éveillé
durant 20 heures, puis dormir ensuite pendant 12 heures et
se sentir tout à fait bien ainsi. |
(Source : d’après
Dement, 1976) |
Autre phénomène intéressant durant ces expériences :
dans certains cas, le point minima de température corporelle
se déplace de la période de fin de sommeil, vers
le début du sommeil. On peut donc assister à une
désynchronisation des cycles comportementaux (veille-sommeil)
et des cycles physiologiques comme la température du corps.
C’est cette désynchronisation qui pourrait être
l’origine des problèmes
causés par le décalage horaire.
Enfin, durant les onze derniers jours
de l’expérience
illustrée sur le diagramme, les conditions initiales ont été réintroduites :
la longueur du cycle se normalise alors avec les conditions d’éclairement
jour-nuit, et la température corporelle se retrouve
à son minimum vers la fin des périodes de sommeil.
La première étude
de "vie hors du temps" ayant permis de mettre clairement
en évidence un cycle endogène d’un peu
plus de 24 heures chez l’humain remonte à 1962.
Cette année-là, le spéléologue
français Michel Siffre, figure légendaire de
ces séjours sous la terre sans aucun repère
temporel, avait passé 2 mois dans le glacier souterrain « le
Scarasson » dans le sud de la France. À l’aide
d’un système de communication à sens
unique, il fait connaître ses heures de lever, de repas
et de coucher à son équipe, mais ne reçoit
aucune information de la surface. Il évalue donc le
temps par lui-même. Quand il en sort le 17 septembre
1962, il se croit le 20 août, confirmant la grande
difficulté à se rendre compte subjectivement
de l’allongement de son rythme biologique.
Puisque le sujet ne connaissait rien à l’époque
des rythmes endogènes du corps humain, il ne pouvait
d’aucune façon avoir été influencé par
eux. C’est en ce sens que ce premier long séjour
sous terre de Michel Siffre restera comme l’une des
expériences d’isolement temporelle les plus « pures ».
Dans le contexte de la guerre froide, Russes et Américains
enfermeront bientôt leurs propres cobayes dans des
bunkers afin d’en savoir plus sur nos capacités
à vivre un certain temps dans des abris nucléaires.
Michel Siffre lui-même refera deux longs séjours
en isolement temporel. Un en 1972 au fond de la Midnight
Cave au Texas, où il resta 205 jours. Même
s’il avait cette fois tendance à faire des
corrections automatiques en se rappelant la première
expérience de 1962, Siffre se trompe encore tout
de même de deux mois à la sortie de la grotte.
Son troisième séjour, Siffre l’entreprendra
37 ans après le premier, à 60 ans, dans le
but d’étudier l'évolution de ses rythmes
circadiens avec l'âge. Commencée le 30 novembre
1999, il termine cette expérience plus de deux mois
après, le 14 février 2000 après avoir
traversé le millénaire seul dans la grotte
de Clamousse dans le sud de la France.
De nos jours, de nombreux laboratoires
sont équipés de salles complètement
isolées des fluctuations de luminosité, de
bruit et de température du monde extérieur.
Des volontaires peuvent ainsi passer plusieurs semaines en
isolement temporel ou encore en "désychronisation
forcée", un protocole où l'on impose au
sujet des journées dont les durées sont différentes
de 24 heures. Le contrôle des variations de leurs paramètres
physiologiques se trouve grandement facilité grâce à
ces salles.
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