Environ 60% des américains
ont essayé une drogue illicite. Si on enlève la marijuana,
il y en a tout de même près de 30 %. Si on inclut l’alcool
qui est une substance légale mais pouvant rendre dépendant, ce pourcentage
monte à 90%. Or très peu de ces gens vont effectivement développer
une dépendance. Même pour une
drogue très propice aux dépendances comme la cocaïne,
seulement 15-16% des gens qui l’ont essayé sont devenus dépendants
dans les dix ans qui ont suivi le premier essai.
LA CONSOMMATION DE DROGUES
L’origine et les
causes des différentes toxicomanies sont toujours débattus dans
la communauté scientifique. Des prédispositions génétiques
pourraient être à l’œuvre chez certaines personnes en
ce qui concerne l’alcoolisme, par exemple.
Mais on s’entend
pour dire que pour la majorité, l’abus d’une substance psychoactive
est apprise et vise à supporter un certain mal-être. La drogue permettant
de supprimer certaines expériences désagréables (la chicane
de ménage que je veux noyer dans l'alcool) et d'amplifier celles qui sont
agréables (la désinhibition que procure l'alcool).
Par
conséquent, c'est la signification qu’accorde l’individu à
ses comportements qui peut poser problème. C’est toute la différence
entre l’adulte qui partage un joint avec quelques amis lors d’une
soirée, et l'effet ressenti par un adolescent qui fume en cachette la même
quantité de marijuana pour oublier ses problèmes.
L’escalade
de la consommation d’une drogue ou d’un médicament est donc
la conséquence d'un processus. C’est l'aboutissement d'attitudes
qui sont fonction de la personnalité, des motivations et des expériences
antérieures de l’individu ainsi que de son environnement familial
et social (cliquez sur chacun des facteurs).
La présence en nombre
plus ou moins élevé de ces facteurs devrait être un signal
d’alarme quant aux risques de dépendance
aux psychotropes .
Il est intéressant de comparer
l’attitude général d’un adolescent qui a une faible
estime de soi et craint de faire face aux événements avec un autre
plus confiant et qui a le sentiment d’être capable de faire face aux
difficultés. Les deux auront des réactions bien différentes
face aux problèmes inhérents à la vie : l'adolescent en santé
psychologique va tenter d’agir sur ces problèmes alors que l'adolescent
inhibé dans son comportement va plutôt chercher à fuir, souvent
dans les psychotropes. Ce faisant, il supprimera momentanément l'angoisse
par l'usage du psychotrope et accroîtra son sentiment d'échec face
à sa capacité de résoudre ses problèmes.
Le terme sensibilisation
(‘’sensitization’’, en anglais) est employé pour
décrire l’augmentation de l’effet d’une drogue avec sa
consommation répétée. C’est le phénomène
inverse de la tolérance. La sensibilisation peut aussi apparaître
parce que les systèmes biologiques sous-jacents s’adaptent de différentes
façons à l’exposition répétée d’une
drogue. Les deux effets des drogues qui subissent généralement une
sensibilisation sont les effets psychomoteurs et les effets de récompense.
Comme ces deux effets impliquent le circuit de la récompense, on pense
que c’est ce système neural qui subirait les modifications de la
sensibilisation.
La personne peut faire
un usage régulier de plusieurs produits (exemple : tabac + alcool + anxiolytiques
plusieurs fois par semaine) ou associer plusieurs produits à la fois dans
un même moment (exemple : cannabis, alcool et tabac dans une même
soirée).
Dans ces deux cas, on parle de polyconsommation. Les
effets des drogues peuvent alors être amplifiés, entraînant
des risques plus graves pour la santé. La polyconsommation peut aussi conduire
à une polytoxicomanie, c’est-à-dire à la dépendance
à plusieurs drogues.
LA DÉPENDANCE
Différentes approches ont tenté
d’expliquer comment les changements cérébraux et comportementaux
associés à la prise de drogue peuvent engendrer une dépendance.
Ainsi, pour certains, la dépendance se développerait par ‘’renforcement
positif’’. Cette explication où la consommation vise à
répéter un événement agréable a été
formulée au milieu des années 1980 mais s’appuyait sur les
expériences d’auto-stimulation des années 1950. Mais la toxicomanie
vue comme une automédication (l'individu choisissant tel ou tel produit
en fonction de ses besoins et le type d’effet recherché) a au fil
des expériences montré ses limites.
Pour d’autres,
les causes principales de l’addiction seraient principalement de calmer
la souffrance associée au sevrage. Cette théorie, dite du ‘’renforcement
négatif’’ fut proposée dès 1948. Encore ici,
certains phénomènes s’expliquent mal avec cette approche.
En particulier le fait que la toxicomanie ne se développe pratiquement
jamais lorsque des opiacés sont prescrits pour calmer une douleur somatique
si la prescription est adéquate.
Une élégante synthèse
basée sur la recherche de l’euphorie combinée à un
évitement de la douleur du sevrage est la théorie des processus
opposants proposée par Solomon et ses collègues (Solomon &Corbit
1973, Solomon 1977).
D’autres ont proposé que la dépendance
soit principalement un défaut d’apprentissage, plus précisément
le développement de très fortes habitudes de stimulus-réponse.
Cet apprentissage aberrant s’appuie sur la découverte que le circuit
de la récompense serait impliqué dans l’apprentissage, en
particulier dans la mémorisation des indices environnementaux associés
à une récompense. Cette théorie est intéressante pour
comprendre le
pouvoir de l’environnement sur les dépendances, mais possède
aussi ses limites, tant en ce qui concerne l’apprentissage explicite que
l’apprentissage implicite.
Une
autre approche part de l’observation que l’augmentation du taux de
dopamine peut être déclenchée par la seule présence
d’une récompense, même inaccessible. Cette activation des neurones
dopaminergiques s’accompagne d’un comportement d’approche de
l’animal vers la récompense à atteindre. Pour certains chercheurs,
il faudrait donc dissocier la recherche de la drogue de la satisfaction qu’elle
procure. Le toxicomane aurait surtout un désir exacerbé pour le
produit, le plaisir qu’il en tire deviendrait secondaire. Cette approche
propose même que seule
la recherche du produit serait sous le contrôle de la dopamine. Le plaisir
étant provoqué par d’autres voies nerveuses.
Par
la suite, Robinson et Berridge (1993) ont suggéré l’idée
qu’un état d’hyperexcitabilité (‘’sensitization’’)
du système dopaminergique mésolimbique pourrait être à
l’origine de la sensation de craving des dépendances. Selon cette
théorie, le système dopaminergique attribue une valeur (‘’salience’’)
à des stimuli associés à l’activation du système,
les rendant ainsi attirants, désirables (‘’incentive’’).
Un autre apport est celui qui met l’accent sur une dysfonction des
systèmes du cortex frontal, qui régule normalement la prise de décision
et un contrôle inhibiteur sur le comportement, et qui mènerait aux
jugements altérés et à l’impulsivité des personnes
dépendantes.
D’autres, enfin, insistent sur la notion de
niveau de base dans l’activité des neurones à dopamine. Selon
cette hypothèse, le seuil autour duquel fluctue l’activité
des neurones libérant la dopamine est fondamental dans l’attitude
face aux drogues. Lorsque le cerveau est au-dessus de ce seuil, il ressentirait
une satisfaction et lorsqu’il serait en-dessous, un manque. Une analogie
intéressante certaines théories de la perception de la douleur qui
affirment que l’évaluation de l’intensité d’une
douleur se ferait en prenant comme référence les informations sensitives
qui ont précédé la sensation douloureuse.
Les grands instituts de recherche
sur les drogues (comme par exemple le NIDA aux Etats-Unis), considèrent
la toxicomanie comme une maladie cérébrale qui pourra éventuellement
être traitée par différentes approches pharmacologiques. Il
est certain que cette approche est progressiste par rapport à d’autres
qui font du toxicomane un délinquant qu’il faut punir.
Mais la toxicomanie est un phénomène plus large que ses seuls corollaires
neurobiologiques. Ses dimensions psychologiques et sociales doivent aussi être
prises en compte dans sa définition même. Par exemple, en ce qui
concerne les traitements à la méthadone pour les héroïnomanes,
la difficulté ne tient pas tant à la pharmacologie du produit qu’au
fait que les patients perçoivent le système de soins comme étant
rigide, directif et oppressif. L’exclusion sociale rend également
difficile de rejoindre les toxicomanes, d’obtenir leur confiance et, éventuellement,
de leur offrir une pharmacothérapie.