On appelle constance perceptuelle
cette tendance que nous avons de voir des objets familiers comme ayant une forme,
une taille ou une couleur constante, indépendamment des changements de
perspective, de distance ou d’éclairage que subissent ces objets.
Notre perception de l’objet se rapproche alors bien davantage de l’image
générale mémorisée de cet objet que du stimulus réel
qui frappe notre rétine. La constance perceptuelle est donc ce qui nous
permet de reconnaître par exemple une assiette de légumes, que celle-ci
soit vue de haut sur une table, devant nous dans un restaurant sombre ou en plein
jour de profil sur un immense panneau réclame situé à plusieurs
dizaines de mètres de nous.
Jean Piaget a montré que cette
constance perceptuelle est loin d’être innée et s’acquiert
chez l’enfant. C'est en apprenant à saisir les objets que l'enfant
se fait une idée de leur taille et de leur éloignement. Et c'est
en se déplaçant qu'il apprend à les reconnaître selon
différents angles et sous des conditions d'éclairement variables.
LA PERCEPTION VISUELLE DÉVOILÉE
PAR LES ILLUSIONS D'OPTIQUE
Notre système
visuel décortique les interactions des ondes électromagnétiques
visibles avec les objets de notre milieu pour en extraire des informations sur
le monde et rendre possible la perception visuelle. Celle-ci est considérée
comme un processus dynamique qui va bien au-delà de la simple réplication
de l’information visuelle fournie par la rétine.
Percevoir,
c’est créer une figure ou une forme qui n’apparaît pas
nécessairement comme tel dans le réel, mais dont la représentation
mentale permet de la reconnaître dans diverses conditions, comme lorsqu'elle
est partiellement cachée par quelque chose. Par conséquent, étudier
la façon dont le cerveau parvient à combler l’information
manquante ou ambiguë peut nous en dire beaucoup sur notre façon de
percevoir le monde. Et l’étude des illusions d’optique est
un terreau fertile où des images ambiguës forcent notre cerveau à
prendre des décisions qui nous renseignent sur sa façon de percevoir
le monde.
Si la majorité
des illusions d’optiques sont le fruit de processus corticaux, certaines
prennent tout de même naissance dans la rétine. C’est le
cas de la grille d’Hermann où l’apparition de spots gris aux
intersections des rangées et des colonnes créées par les
carrés s’expliquerait par le phénomène d’inhibition
latérale rétinienne.
Par contre si l’on regarde
fixement une intersection, elle paraît blanche parce qu’on fait alors
appel aux cellules de notre fovéa
qui, elles, font beaucoup moins de correction par rapport à l'environnement.
Autre exemple d’illusion d’origine rétinienne
: après avoir fixé l’œil de l’oiseau pendant une
vingtaine de secondes, sa silhouette en rouge apparaît lorsqu’on fixe
la cage. L’explication réside cette fois au niveau des cônes,
ces photorécepteurs
sensibles à la couleur. Les cônes verts couvrant la forme de
l’oiseau sur la rétine subissent une désensibilisation progressive
qui amène les autres cônes à prendre le dessus. Lorsqu’on
regarde ensuite le fond blanc de la cage, un oiseau rouge se dessine parce que
le blanc moins le vert donne une lumière rougeâtre. On appel cette
image qui demeure quand on cesse de regarder un objet «l’image
résiduelle».
Malgré les apparences, les deux cercles gris
sont de la même teinte (passez la souris sur l’image pour vous en
convaincre).
Les
cercles sont de la même couleur même si celui sur fond bleu semble
avoir des teintes rougeâtres et des teintes bleutées sur fond rouge
(passez la souris sur l’image pour vous en convaincre). L’effet du
fond influence aussi la perception des couleurs.
Parce que notre système visuel interprète l’éclairage
comme provenant d’en haut, on perçoit les sphères dont la
partie supérieure est plus pâle comme ressortant du dessin et les
sphères dont la partie supérieure est foncée comme rentrant
à l’intérieur du dessin.
Le même phénomène s’applique à la luminosité
apparente d’une surface qui dépend non seulement de sa propre luminance
mais également de celle des surfaces avoisinantes. Le même cercle
gris semble par exemple plus clair quand il est situé sur un fond foncé
et plus foncé lorsqu’il est sur un fond pâle. Une explication
souvent avancée pour rendre compte de ce phénomène consiste
à dire que notre cerveau considère le cercle sur fond foncé
comme un disque clair situé dans un endroit peu éclairé,
et le cercle sur fond clair comme un disque foncé dans un lieu bien éclairé,
ce qui suffirait à faire apparaître comme différents les deux
cercles du même gris.
Une autre façon d’expliquer
ce phénomène est de considérer notre perception comme adaptée
aux stimuli environnants passés, de sorte que ceux-ci deviennent une sorte
de ligne de base à partir de laquelle les stimuli subséquents sont
perçus. Un peu comme le silence profond que l’on remarque quand le
son d’un réfrigérateur cesse brusquement. Ce que nous percevions
comme le silence avant l’arrêt du réfrigérateur était
en fait un grondement stable auquel on s’était habitué.
L’éclairage d’une scène
visuelle est un facteur important pris en compte par le système visuel
pour l’aider à identifier un objet. Dès qu’on interprète
une image comme pouvant être en trois dimensions, notre système visuel
essaie immédiatement d’évaluer d’où provient
l’éclairage et utilise cette information pour décoder les
propriétés de l’objet.
Les illusions d’optique les plus troublantes
combinent souvent plusieurs phénomènes allant tous dans le même
sens afin d’accentuer l’erreur d’interprétation du
système visuel. L’échiquier d’Adelson, avec ses cases
A et B qu’on jurerait noire et blanche alors qu’elles sont du même
gris, procède ainsi.
On
a d'abord droit à une illusion de contexte (voir plus haut). La case A
est entourée de cases blanches, ce qui nous la fait percevoir comme plus
foncée. À l’inverse, la case B est entourée de cases
noires, ce qui nous la fait percevoir comme plus pâle.
Ensuite,
la région plus sombre à gauche du cylindre est immédiatement
interprétée comme de l’ombre parce qu’on voit le cylindre
qui la crée et ses variations de vert qui suggèrent une source d’éclairage
à droite de l’image. Par conséquent, en se basant sur notre
expérience passée, notre système visuel alloue à la
case B une clarté supérieure, se disant qu’elle doit être
en réalité plus claire en pleine lumière étant donné
que même dans la pénombre elle semble relativement plus claire que
les cases voisines.
L’illusion
fonctionne enfin parce que chaque case est entourée d’une structure
en « X » bien délimitée formée par quatre autres
cases, ce qui indique fortement à notre système visuel que la surface
entre les quatre cases doit être interprétée comme un changement
de teinte de la peinture de cette surface, et non un changement causé par
un ombrage ou un changement d’éclairage.
Loin de démontrer
des failles dans notre système visuel, ces phénomènes mettent
en évidence de puissants mécanismes de discernement qui permettent
d’extraire et d’identifier des objets parmi la profusion de formes
confondantes du monde réel.
Il arrive fréquemment
que l’on perçoive des figures qui se détachent de leur fond
bien qu'aucun trait ne soit tracé pour délimiter celles-ci. De plus,
aucun changement de luminance ne permet généralement d’isoler
cette image subjective de son environnement.
Encore une fois, le système
visuel n’est pas passif mais prolonge automatiquement des segments dans
les régions du dessin où ils sont absents. On imagine alors qu’un
objet est posé sur les lignes ou les formes abstraites du dessin. La perception
de telles figures sans contour refléterait des propriétés
innées dans le
câblage du système visuel.
Une autre catégorie d’illusions
qui joue sur la subjectivité des contours est celle où la figure
peut devenir le fond, et vice-versa. Les psychologues qui ont développé
les théories de la Gestalt ont d’ailleurs mis au point d’innombrables
figures où la relation figure – fond est ambiguë.
Ceci dans le but de démontrer l’argument central de cette théorie
qui veut que le tout ait des propriétés globales autres que celles
issues de la somme de ses parties.
Dans l’exemple classique
des deux profils qui, en se regardant, délimite un espace qui peut être
vu comme un vase, on s’aperçoit que notre perception peut alterner
entre les profils et le vase. Le fait que notre attention considère avant
tout la partie pâle ou noire du dessin nous fait percevoir cette partie
comme la figure et renvoie automatiquement l’autre comme simple fond. Et
vice versa, la perception de l’une excluant l’autre.
Il semble donc que devant une scène complexe, notre cerveau a besoin de
discerner une figure principale et qu’il relègue le reste comme étant
un simple fond. Ces illusions montrent bien le travail de regroupement et de ségrégation
des caractéristiques d’une scène complexe qu’effectue
le système visuel pour reconnaître un objet. Des
artistes facétieux tirent parfois parti de ces associations nécessaires
à la perception pour laisser deux possibilités aussi plausibles
l’une que l’autre.
Ces 4 disques dont la fente est orientée vers
l’intérieur provoquent la perception d’un carré au contour
subjectif.
Un cercle semble déposé sur ces lignes
convergentes alors qu’aucun contour ne définit ce cercle.
Profils ou vase ?
Femme ou saxophoniste ?
Deux têtes dégarnies ou une poitrine
bien garnie?
À
partir d’une image à deux dimensions projetée sur nos deux
rétines, notre système visuel reconstruit une perception en trois
dimensions du monde qui nous entoure. Pour percevoir la profondeur d’une
scène visuelle, notre cortex visuel s’en remet à deux sources
d’information : celle fournie par notre vision binoculaire intégrant
les images légèrement différentes des deux yeux; et les indices
de notre vision monoculaire pouvant être perçue par un seul œil.
Quand un objet est proche de nous, on s'appuie surtout sur la disparité
entre les deux images perçues par chaque œil donc, donc notre vision
binoculaire. La raison en est tout simplement que plus la distance augmente,
plus la différence d’angle entre les deux yeux qui observent l’objet
diminue.
Mais même avec en vision monoculaire
on peut avoir une impression de profondeur car le cerveau la déduit de
plusieurs indices :
- L’interposition est certainement
l’indice le plus fréquent car il survient à chaque fois qu’un
objet nous bloque complètement ou en partie la vue d’un autre simplement
parce qu’il se trouve devant. On déduit alors que l’objet caché
se trouve plus loin.
- La perspective atmosphérique
est causée par les particules de poussière et d’humidité
suspendues dans l’air et qui font que plus un objet est loin, plus il a
l’air voilé et diffus.
- Un gradient de texture apparaît
lorsque nous regardons une surface avec un certain angle: la texture devient plus
dense et moins détaillée à mesure que cette partie de la
surface s’éloigne de nous.
- Un autre indice auquel on
se réfère constamment sans s’en apercevoir est simplement
la taille d’un objet. On parle de taille relative quand
on ne connaît pas la taille exacte de deux objets mais que l’on sait
qu’ils sont identiques. Celui qui projette la plus petite image sur la rétine
est alors interprété comme étant plus loin. Si la taille
d’un objet familier est bien connue, on utilise alors cette référence
pour évaluer la distance de l’objet, sachant bien entendu que sa
taille apparente diminue avec la distance.
- Le mouvement de
parallaxe est cette impression que les objets qui sont à différentes
distances de nous bougent à différentes vitesses quand on se déplace.
Plus les objets sont distants, plus le mouvement de parallaxe est faible.
Malgré
les apparences, le monstre poursuivi est de la même taille que le monstre
poursuivant. Pour vous en convaincre, passez votre souris sur l’image.
-
La perspective linéaire renvoie au phénomène
bien connu de convergence apparente des lignes
parallèles qui s’éloignent de nous et qui se rejoignent virtuellement
à l’horizon. Un objet situé plus près de ce point
qu’un autre signifie donc pour notre système visuel qu’il est
plus loin. Et c’est généralement vrai, à deux exceptions
près. D’abord les dessins où deux objets identiques sont représentés
sur des lignes convergentes qui suggèrent une perspective comme sur le
dessin ci-contre. L’objet plus près de cet horizon virtuel nous apparaît
alors plus gros, puisque notre cerveau le situe plus loin, donc pour avoir cette
taille sur notre rétine étant plus loin, on se dit qu’il doit
forcément être plus gros. L’autre exception est celle des corps
célestes comme la lune, ce qui donne lieu à la
fameuse illusion de la pleine lune qui nous apparaît plus grande quand
elle se lève.
Une source importante d’ambiguïté
pour le système visuel vient tout simplement du fait que le monde en trois
dimensions où nous vivons se projette sur la surface de notre rétine
qui n’en a que deux. Différents objets, selon leur distance et leur
orientation, peuvent donc occuper le même espace sur la rétine, d’où
une confusion que notre cerveau cherchera à éclaircir par d’autres
indices. Parmi ceux-ci, notre expérience
passée de l’objet en question et celle
de notre espèce encodée dans nos gènes y seraient pour
beaucoup.
Un angle donné projeté sur la rétine
peut provenir de d’objets ayant une variété d’angles,
de longueur et d’orientation dans l’espace.